✿Les nouvelles de Josiane Coeijmans ✿ « La veillée »
JOSIANE COEIJMANS·JEUDI 16 JANVIER 2020·5 MINUTES
Elle était là, allongée sur ce lit blanc comme un oiseau frêle sur les neiges. Les branches de l'arbre furieux, frappaient les carreaux de la chambre, tandis que la vieille dame, restait silencieuse. Était-elle consciente ? Où était-elle ? Partie en voyage aux confins d'une folie muette ? Je n'arrivais pas à comprendre cette inertie, qui éveillait ma curiosité lors de mes visites où il m'arrivait de pavaner à son chevet, scrutant ses yeux, pour voir, si elle suivait mes mouvances. Rien, absolument rien, je n'avoue que mon ego, lui, sourcillait. La famille se succédait à son chevet, de longs discours s'échangeaient au salon. La maison me semblait énorme, je me sentais perdue comme on peut l'être dans un labyrinthe, ou chaque pièce avait ce curieux parfum sucré et à la fois poussiéreux, comme seules les vieilles demeures peuvent abriter. Lorsque l'atmosphère suffocante m'oppressait, je sortais au jardin, écouté les oiseaux chanter, me ramenais à la réalité, à la vie. Le vent soufflait sur les arbres, le ballet des feuilles folles, qui tombait délicatement au sol. Les brindilles craquaient sous mes pieds, j'étais heureuse de briser le silence de circonstance. Après une longue absence volontaire, je retournais voir la souffrante en compagnie de Claudine. Moi, je m'asseyais sur une chaise, j'observais son cortège de gestes et d'attentions, qu'elle lui prodiguait tout était tendre, une gestuelle noble, presque un ralenti ou parfois certaines caresses s'immobilisaient sur son visage. La vieille dame, ne réagissait toujours pas, je crois que j'attendais un signe de vie, sa sortie d'hibernation. Les jours passaient, les mêmes scènes se jouaient, une impression de déjà vu, me lassait. J'attendais un dénouement heureux ou pas, mais, il fallait que cesse ce macabre théâtre, cette scène à laquelle l'horloge du couloir, ajoutait sa sombre cacophonie mêlée aux voix de la famille présente. Je me souviens des visages défilés, ils avaient tous, le même regard effacé et triste. Personne n'expliquait aux petits enfants, ce qui se passait, nous devions presque deviner ou imaginer ce que vivaient cette pauvre dame et sa famille. Moi, j'accompagnais malgré moi, un membre de cette famille, une gentille dame qui se nommait Claudine et qui m'avait pris en famille d'accueil, le temps des vacances. Étant orpheline, les grandes familles m'étonnaient et éveillaient à la fois, toute ma curiosité, j'avoue que j'aurais préféré pouvoir les découvrirent en d'autres circonstances, mais la vie joue parfois ces actes, qu'on ne voudrait pas connaître, qui font peur, lorsqu'on ne sait pas ce qui se passe et surtout lorsqu'on ignore si la souffrante était une personne gentille ou méchante. Je me souviens que ceci me marquait et attisait mes craintes d'elle, au point que je n'aurais pas osé rester seule dans cette chambre à ses côtés, je crois que j'en serais morte de frayeur. Plus tard, lors des longues conversations entre les membres de cette famille, j'entendais des explications de son évolution de santé et de larges compliments sur la personne qu'elle était, mais que moi, j'ignorais. Soudain, un sentiment de compassion m'envahissait et m'attirait à la rejoindre, j'entrais donc dans la chambre sur la pointe des pieds, il n'y avait personne, je m'avançais doucement, prudemment et je pris sa main délicatement dans la mienne, je fus surprise par la douceur de sa peau et par la froideur de ses longs doigts légèrement bleutés. Ses paupières légèrement entrouvertes laissaient deviner ses prunelles bleues grises, comme un ciel orageux un soir d'automne. Je me suis présentée à elle, je lui expliquais le pourquoi, de ma présence et un paragraphe de ma courte vie, je lui contais. J'avais le sentiment d'être écouté, je m'assieds sur son lit, je caressais ses cheveux, j'étais prise d'un mimétisme inconscient. Le temps passait, j'étais toujours à ses côtés. Je crois que personne n'avait remarqué mon absence, cela m'indifférait, j'étais bien et sereine, j'imaginais qu'elle aimait le son de ma voix et cette délicate attention que je lui portais, étonnement cela avait brisé la glace, je me sentais proche d'elle, presque une parente, je dirais. J'entendais alors, la famille traverser le couloir, ils venaient à nouveau auprès d'elle, moi, doucement, je m'esquissais et me mise sur le côté, près de la grande armoire aux multiples miroirs qui reflétaient son visage indéfiniment. Je fus surprise, qu'on lui fermât les paupières et dans un silence incompréhensible pour moi, les hochements de tête et les soupirs qui les accompagnaient me disaient que quelque chose venait de se passer, les larmes coulaient sur les visages, je compris alors, que la vieille dame s'était endormie pour toujours au son de ma voix, emportant mon récit avec elle. J'entendis quelqu'un dire, elle a rejoint les anges. Je retournais auprès d'elle et lui déposait un baiser furtif sur sa joue si douce, que des mois durant, je gardais cette sensation sur ma bouche, d'un mélange de douceur et froideur, un peu comme si, vous embrassez un marbre rose de cheminée. Voilà que l'automne l'emportait, elle captive, l'oiseau fébrile s'envolait migré aux cieux.
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