Quand son fils de 16 ans Naftali a disparu il y a cinq ans au mois de juin, avec deux autres adolescents juifs qui avaient été vus pour la dernière fois à proximité d’Alon Shvut en Cisjordanie, Rachelle Sprecher Fraenkel a trouvé du réconfort dans l’étude du judaïsme.
« Dieu ne travaille pas pour nous », avait-elle dit aux médias israéliens. « Dieu n’est pas notre serviteur », mais « la prière compte, peu importe l’issue finale ».
A l’enterrement de son fils – après que l’armée israélienne a retrouvé les corps attachés et inertes des adolescents près d’un village palestinien le 30 juin de cette année-là – elle s’est encore tournée vers la tradition. La prière compte, peu importe l’issue finale, avait-elle dit, parce que « chaque prière a son propre travail à faire ».
A LIRE : L’appel d’une mère « des prières, de l’énergie positive, tout » pour les jeunesPour ceux qui ne la connaissaient que comme l’une des mères des adolescents assassinés, dont l’enlèvement a conduit à une chasse à l’homme de grande ampleur et un profond traumatisme national, elle était le visage pieux de la campagne douloureuse, et au final malheureusement vaine, « Faites revenir nos enfants » (bring back our boys).
Pourtant, ses amis et sa famille connaissaient Rachelle Fraenkel comme une enseignante et une chercheuse accomplie – une pionnière dans l’éducation intensive aux textes religieux pour les femmes orthodoxes. Elle est éducatrice depuis longtemps à Nishmat – le Centre Jeanie Schottenstein pour une étude avancée de la Torah pour les femmes, et la directrice d’Hilkhata, ou programme avancé Halakha, à l’Institut pour les études de la Torah des Femmes Matan basé à Jérusalem.
« La vérité est que la tragédie ne définit personne. Pas moi », affirmait-elle lors d’un entretien téléphonique le 20 juin, deux jours après le cinquième anniversaire de l’assassinat de Naftali et des deux autres adolescents, Gilad Shaer et Eyal Yifrach.
C’est son dévouement à l’étude du judaïsme qui la définit – une dévotion qui l’a conduite aujourd’hui vers une nouvelle étape : l’achèvement d’un cursus de six ans d’étude de la halakha (loi juive). Ce cursus est très proche des études poursuivies par les hommes qui deviennent rabbins. Elle a non seulement achevé le programme, mais, en tant que directrice, elle a également signé tous les diplômes.
Et selon le directeur de Matan, la rabbin Malka Bina, le jour après la fin de la Shiva, Rachelle Fraenkel était de retour à l’école pour aider ses étudiants à préparer leurs examens.
Elle et les 13 autres femmes qui ont obtenu, le 12 juin, le diplôme du programme Hilchata à Matan sont toutes d’anciennes élèves d’un nombre croissant de centre qui forment les femmes orthodoxes à l’étude des textes religieux. Rachelle Fraenkel explique que beaucoup d’entre elles sont passées par daf yomi, l’étude quotidienne de l’intégralité des 2 711 pages du Talmud qui dure sept ans et demi.
Certaines des étudiantes sont diplômées d’un programme de trois ans à Nismat qui donne la certification aux femmes pour devenir des yoetzot halacha, ou conseillères halakhiques. Ce programme forme les femmes à répondre à des questions de loi religieuse liées aux problématiques du corps des femmes comme la menstruation et la fertilité.
Même si la formation Hilchata est aussi poussée qu’à l’école rabbinique, Rachelle Fraenkel l’a décrite comme « un cursus sans visée politique ».
Alors que certains groupes orthodoxes libéraux forment des femmes à des rôles qui sont explicitement ou implicitement celui du « clergé », elle a expliqué que l’achèvement du programme Hilchata n’implique aucune forme d’ordination (smicha, en hébreu). Les attestations remises à la fin de la formation indiquent, selon Rachelle Fraenkel, que « cette personne a appris ceci et cela, et nous prions pour que la Torah puisse lui donner la capacité de rapprocher les gens du shamayim« , le paradis. Les certificats soulignent que le détenteur a étudié « sérieusement et en profondeur ».
Le programme était une « évolution » organique, a-t-elle déclaré. Des femmes comme elle avec une base solide dans l’étude du judaïsme, qui ont pris part au daf yomi et enseigné la Torah, seraient interrogées et auraient le sentiment qu’elles doivent s’en remettre à d’autres autorités parce qu’elles n’ont pas étudié les éléments pertinents de la loi juive avec la profondeur nécessaire. L’étude à ce nouveau niveau était « l’étape suivante évidente », a-t-elle dit, car « [en tant qu’]enseignants de la Torah, les étudiants se tournent » vers ce groupe et leur posent des questions.
Le programme en ligne Responsa des Femmes Shayla a été l’un des aboutissements de cette démarche. Le programme permet de poser des questions et d’obtenir des réponses sur des thématiques liées à la loi religieuse pour les femmes. Ce programme est dirigé à Matan par Surale Rosen, une autre nouvelle diplômée d’Hilchata.
Au cours des six années, les étudiants découvrent une série de sujets, y compris des questions liées au statut personnel, aux lois du Shabbat et des fêtes, à celles concernant le deuil et celles liées aux femmes et aux rituels entourant la menstruation.
Puisque le programme Hilchata a été lancé pendant l’année académique 2013-2014, avant l’assassinat de son fils, il était donc naturel de lui demander comment l’étude l’avait aidée à canaliser sa douleur. Elle a ri et répondu que ce n’était utile que dans le « sens où il y avait un autre groupe d’amis qui la soutenait », elle et sa famille.
Interrogée sur les souvenirs de son fils qu’elle voudrait que le public connaisse, elle a commencé par dire qu’elle ne pouvait pas répondre. Mais en ce qui concerne les souvenirs qui l’ont le plus aidée et lui ont donné le plus de force pour continuer, Rachelle Fraenkel répond, « au départ, le défi était de séparer les souvenirs de la douleur », et ajoute que c’était un processus difficile parce que « chaque fois que l’on pensait à quel point c’était un garçon formidable, on avait l’impression de prendre un coup de poignard dans le ventre. Aujourd’hui les pensées et les souvenirs sont très joyeux ».
Elle a continué en disant : « Il y a pourtant une dimension tragique, il nous manque tellement ». Les amis de son fils, dont beaucoup avaient une personnalité proche de lui, sont encore en contact. Rachelle Fraenkel, qui a six autres enfants, a commémoré le cinquième anniversaire de la mort de son fils et a reconnu qu’elle était « épuisée émotionnellement ».
Elle dit qu’elle a appris, au sujet de la gestion du deuil, que « la chose importante est d’être là pour les gens ». Elle parle d’une autre mère endeuillée par la mort de son fils au Liban. Celle-ci a appelé Rachelle Fraenkel avant Rosh Hashanah et lui a dit que l’angoisse de passer la première fête sans son fils était pire que l’expérience de la fête en elle-même. C’était « si simple, si vrai. Cela m’a un peu apaisée », se souvient Rachelle.
Elle a aussi cité les paroles d’une autre mère meurtrie – Sherri Mandell, dont le fils Kobi a été tué par un terroriste à Tekoa en 2001 – disant qu’il ne s’agissait pas « autant de surmonter la douleur, que de se reconstruire ».
Elle a comparé le deuil et le recul par rapport à la période la plus intense du deuil à la photographie… On peut « se focaliser étroitement sur la blessure elle-même » et « tout voir de près » ou on peut utiliser un « objectif plus large » et prendre du recul pour percevoir « beaucoup d’autres bénédictions, d’attentes, de réussites et d’échecs. Quand on utilise un objectif plus large, on voit beaucoup plus de bénédictions ».
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