PALMA DE MAJORQUE, Espagne (JTA) — Sur cette île au sud de Barcelone, les Juifs fêtent maintenant Pourim à peu près de la même façon qu’ils le font ailleurs en Europe.Il y a une lecture du Livre d’Esther dans la petite synagogue de la marina, puis une fête costumée qui rassemble une grande diversité de membres de la communauté juive de Palma : des familles israéliennes non affiliées, des retraités britanniques en recherche de soleil, des Séfarades locaux, des hommes d’affaire français, pour n’en citer que quelques-uns.
Pourtant, 50 ans plus tôt, Pourim était la fête la plus importante de l’année – comparable à Yom Kippour – pour la communauté juive unique de cette île. Persécutés pendant des siècles par l’Inquisition espagnole, les Juifs de Majorque convertis de force avaient profité de l’ignorance relative de leurs persécuteurs sur Pourim pour faire le deuil de leur situation et conserver leur foi et leur culture.
« Pourim n’était pas célébré à Majorque, la fête était pratiquée avec tristesse en secret », a déclaré le rabbin Nissan Ben-Avraham, un natif de Majorque d’une famille de chuetas – le nom local pour les anusim, ou ceux qui ont été forcés à se convertir au christianisme pendant l’Inquisition.
Célébrer n’importe laquelle des principales fêtes juives – dont Pessah, Souccot et Shavouot – aurait été trop risqué pour les chuetas, une minorité qui a été traitée durant des siècles avec suspicion et parfois avec violence. Ces fêtes étaient trop bien connues avec ses caractéristiques très distinctives pour être pratiquées en toute sécurité.
Mais Pourim était assez inconnu pour ne pas être remarqué, selon Ben-Avraham, qui servait jusqu’il y a deux ans comme émissaire à Majorque de Shavei Israël, un groupe qui aide ceux qui avaient des ancêtres juifs à se reconvertir au judaïsme.
Aux siècles précédents, la fête qui célèbre le triomphe des Juifs sur un peuple qui avait tenté de les exterminer au cinquième siècle avant l’ère commune en Perse était beaucoup moins joyeuse que son côté carnavalesque d’aujourd’hui. Des Juifs ont commencé à se déguiser pour Pourim au 16e siècle. Avant cela, la fête constituait principalement à un jeûne d’Esther d’une journée, qui arrive immédiatement après la véritable fête et qui correspondait à un signe de gratitude envers Dieu pour la survie des Juifs en Perse.
Le jeûne correspond bien à la période du Carême, une période de 40 jours au début du Printemps au cours de laquelle les Catholiques s’abstiennent de certains petits plaisirs, dont la viande. De nombreux Chrétiens avaient l’habitude de jeûner le mercredi des Cendres, le premier jour du Carême, ce qui fournissait un alibi pratique pour les chuetas respectant le Jeûne d’Esther à la même période, a expliqué Ben-Avraham.
Certains chuetas jeûnaient pour Pourim il y a encore 30 ans, selon Dolores Forteza Rei, membre de l’association Memoria de la Carrer qui vise à préserver l’héritage chueta. Son père défunt, José, a commencé à jeûner pour Pourim dans les années 1930, à son retour sur l’île après la Guerre civile d’Espagne.
« Il a continué à jeûner pour Pourim jusqu’à sa mort », a déclaré Forteza Rei.
Aujourd’hui, les chuetas forment une mimorité d’environ 15 000 personnes dont peu de membres se considèrent comme Juifs. Pourtant, dans le passé, ils avaient un lien émotionnel plus profond avec l’histoire de Pourim et particulièrement son héroïne Esther.
Selon l’histoire, Esther avait été appelée par son oncle pour entrer dans le harem du roi perse Ahasuerus et elle a contrecarré le plan de son conseiller perfide pour exterminer les Juifs du royaume. Cachant son identitié juive jusqu’au point culminant de l’histoire, Esther était définie comme une « anusa » déjà au 19e siècle par Malbim, un sage rabbin originaire de ce qui est maintenant l’Ukraine.
« Bien sûr, nous sommes connectés d’une manière très forte à son histoire et à son personnage, » a déclaré Iska bat Valls, une chueta de 60 ans qui s’est convertie au judaïsme il y a plusieurs années. Elle est maintenant un membre actif de la minuscule communauté juive de Majorque forte de plusieurs dizaines de personnes.
Pendant des générations, des prénoms presque homophones Estelle et Stela ont été des prénoms très populaires pour les filles chuetas afin de rendre hommage à Esther.
Aussi bien Toni Pinya, un chueta qui s’est reconverti au judaïsme et est maintenant membre de la communauté juive de Majorque, que le rabbin Ben-Avraham se souviennent avoir été frappés et harcelés à l’école de Palma dans les années 1960 par d’autres élèves qui les traitaient d' »assassins du Christ » et de « sales chuetas »
Les parents de Pinya ont été mariés en secret à l’aube dans les années 1950 pour éviter une émeute parce que son père était un chueta, a expliqué Pinya lors d’un entretien à la synagogue locale.
Située dans un petit espace au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel à côté d’un salon de massage thaï, la synagogue arbore une Etoile de David sur sa grille et une mezuzah sur sa porte d’entrée.
Des tels signes étaient impensables pour les trois synagogues secrètes où les chuetas pratiquaient leur judaïsme dans le secret pendant des années après l’Inquisition. Situées dans le centre historique de Palma de Majorque, la capitale de l’île de Majorque, ces synagogues n’existent plus. L’un d’entre elle, située dans une allée paisible tellement étroite que seules les petites voitures peuvent y passer, accueille maintenant un magasin de cuir. L’autre est devenue une église.
Mais après la chute de la dictature pro-catholique de Francisco Franco en 1975, le sentiment anti-chueta a diminué et avec lui le besoin de secret autour des rites de Pourim. Ensuite, des milliers de touristes visitant Majorque ont transformé l’île éloignée en une capitale de la fête européenne, a déclaré Forteza Rei.
« Soudain, nous n’étions plus des étrangers. Cela n’avait plus de sens d’être chueta. C’était devenu anecdotique », a-t-elle noté.
Pinya, un chef qui cuisine pour la synagogue, est l’un des dizaines de chuetas qui s’est converti au judaïsme au fil des vingt dernières années.
Actuellement, « Pourim est juste une attraction pour des Juifs non membres de la communauté, tout particulièrement les Israéliens avec des enfants », a déclaré Dani Rotstein, fondateur de la conférence Limmud de culture juive sur l’île.
Natif du New Jersey qui s’est spécialisé dans des productions de vidéo, Rotstein s’est installé à Majoque en 2014 et y a lancé le festival Limmud l’année dernière.
Pourim résonne chez les Juifs de Majorque d’une manière beaucoup plus profonde qu’ailleurs, a-t-il dit.
« Ce n’est pas surprenant, quand on y pense, a noté Rotstein. Beaucoup de chuetas ont le sentiment que c’est l’histoire de leur propre vie ».
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