En cette période de l'année, celle du compte du Omer, et en particulier le jour de Lag BaOmer, notre pensée se porte vers le grand Sage Rabbi Akiva et ses élèves. Ils vécurent en Terre Sainte il y a plus de 18 siècles. Vous êtes-vous jamais demandé comment les Juifs d'Erets-Israël vivaient en ce temps-là ? Examinons un peu cet aspect de la question tel qu'il est reflété dans le Talmud et le Midrache, qui nous ont été transmis tous deux depuis cette époque même.
Rabbi Akiva ben Yossef vécut le calvaire que représente la destruction du Beth Hamikdache, le Saint Temple de Jérusalem, par les Romains, sous le règne de Titus (en l'an 3828 depuis la création du monde, en 68 de l’ère commune). Il n'était plus un jeune homme à l'époque, mais, parmi les érudits et les Sages de son temps, il était encore « jeune », car, comme on sait, il commença assez tardivement à étudier la Torah.
Quand le grand Sage Rabban Yo’hanan ben Zackaï réussit à sauver un grand nombre d'érudits, et fonda son importante yéchivah à Yavneh peu avant la chute et la destruction de Jérusalem, Rabbi Akiva était parmi ceux-là. Quelque vingt ans plus tard, on le considérait comme l'un des plus grands Tannaïm de son temps. Il était déjà membre du Sanhédrin (Cour de Justice Suprême) de Yavneh.
Les grands Sages
La perte de Jérusalem et du Beth Hamikdache fut un coup très dur pour le peuple juif qui ne fut sauvé que grâce aux Sages éminents de l'époque. Ces derniers lui enseignèrent que la sainteté du Beth Hamikdache ne pouvait être détruite ; tout au plus, pouvait-on livrer aux flammes le bois et la pierre de l'édifice sacré. Quant à la Torah et le peuple juif, ils continueraient à vivre, car leur vie ne dépendait pas d'un lieu matériel particulier.
Yavneh devint le nouveau centre de la vie juive, le nouveau « Beth Hamikdache ». Les prières se substituèrent aux sacrifices et l'étude de la Torah, ainsi que la pratique des Mitzvoth furent les éléments réels sur lesquels s'appuya la vie quotidienne de chaque Juif. Si, économiquement parlant, les Israélites avaient à affronter, sous les Romains, une situation particulièrement difficile, en revanche, sur le plan spirituel, ils demeuraient libres. Ils n'avaient nul autre maître que D.ieu, et pouvaient demeurer fidèles à Ses préceptes.
Les Takkanoth
De Yavneh, le Sanhédrin et avec lui le centre de la vie judaïque se déplacèrent à Oucha, en Galilée. Beaucoup d'ordonnances importantes y furent promulguées, destinées à renforcer la vie juive. Sous tous ses aspects, au sein de la famille, sur la place du marché, ou à la synagogue, elle fut réglementée avec soin par ces Takkanoth (ordonnances) spéciales, conçues conformément à la Torah, et à une tradition remontant à Ezra et à Moché Rabbénou.
D'Oucha, le Sanhédrin revint à Yavneh, fit ensuite retour à Oucha, pour se transférer encore, successivement à Chefaram, Beth-Chéarime, Tsippori et enfin Tibériade. Cette instabilité témoigne des temps troublés que connurent les Israélites sous les Romains, lesquels contraignirent plus d'une fois les Sages et les chefs juifs à démanteler ou à fermer leurs yéchivoth. Mais les Sages dispersés préservaient le contact entre eux et se réunissaient à nouveau en des lieux différents, souvent clandestinement, afin de poursuivre l'œuvre vitale dont dépendait la survie de notre peuple en cette période cruciale.
Les chefs du Sanhédrin – tels que Rabban Yo'hanan ben Zackaï, Rabban Gamliel (de Yavneh), son fils Rabban Chimon, et le fils de ce dernier, Rabbi Judah HaNassi (le compilateur de la Michnah) – furent des dirigeants d'une valeur exceptionnelle, et dont l'autorité fut reconnue et hautement respectée par tous, car ils étaient, de surcroît, les descendants et les héritiers de la maison royale de David.
Outre le Sanhédrin, qui fut aussi la plus importante académie du savoir toranique, il y avait, dans les villes et les villages, des yéchivoth dirigées par des Sages éminents. Seuls ou à deux, ils avaient leur yéchivah : Rabbi Eliézère et Rabbi Tarfon à Lod, Rabbi Akiva à Bnei-Bérak, Rabbi Josué à Pékiin, Rabbi ‘Halafta à Tsippori, et Rabbi 'Hananyah ben Tradyon à Sikhnine. Tibériade et d'autres localités avaient également leurs yéchivoth.
De longues absences
Dans ces centres où il était dispensé le savoir toranique, les jeunes gens affluaient. Ils quittaient leurs foyers sans se soucier du confort et des facilités matérielles auxquels ils renonçaient, et étaient golé limkom Torah, « partant à l'aventure vers un centre de Torah ». Après avoir passé un temps parfois considérable dans une yéchivah, certains d'entre eux se rendaient dans une autre afin de rencontrer d'autres grands Sages et d'autres étudiants. Les grands Sages eux-mêmes souvent se déplaçaient de ville en ville et de village en village, encourageant l'étude et renforçant l'observance des mitsvot.
Les étudiants en Torah poursuivaient souvent leurs études même après leur mariage, qui avait lieu généralement une fois atteints leurs dix-huit ans. Avec l'assentiment de son épouse, un jeune homme quittait souvent son foyer et le lieu où il résidait pour se rendre dans une autre ville dont il pût fréquenter la yéchivah. Qu'un jeune époux s'éloignât de son foyer pour un certain nombre d'années n'avait rien d'étonnant, cela était dans les mœurs. Rabbi Akiva, par exemple, pour la même raison, demeura douze ans loin du sien.
Douze années encore
Quand il fut rentré chez lui comme il l'avait promis, et se trouva à la porte de sa maison, sur le point d'entrer il perçut un bruit de voix. C'était des voisines qui essayaient de persuader sa femme que lui, Akiva, l'avait quittée pour de bon et qu'il ne reviendrait plus, A quoi l'épouse fidèle répondit que du moment que la raison en était l'étude de la Torah, elle attendrait son mari avec la même patience, même s'il devait rester absent douze autres années encore. En entendant ces mots, Rabbi Akiva, au lieu d'entrer comme il en avait l'intention, revint sur ses pas, partit à nouveau pour la yéchivah qu'il venait de quitter, et y demeura douze autres années.
Le nombre des épouses capables d'un tel esprit de sacrifice n'était sans doute pas très grand. ; néanmoins le cas d'Akiva n'était pas exceptionnel. Rabbi ‘Hanina ben ‘Hakhinaï resta, lui aussi, absent de son foyer pendant douze ans, et pour la même noble raison. Nombreux furent ceux qui quittèrent leurs familles pour de plus brèves périodes. En tout cas, que ce fût en restant chez soi, ou en allant au loin, tout un chacun se livrait à l'étude de la Torah, étude si longue, que, comme on sait, une vie entière ne suffit pas à l'épuiser.
L'on pourrait se demander comment ces érudits et ces étudiants arrivaient à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Quelques-uns, les moins nombreux, devaient à ce que leur avaient laissé leurs parents une certaine aisance. Non seulement ils n'avaient besoin d'aucune aide, mais ils assuraient la leur aux érudits ou aux étudiants besogneux. Rabbi Tarfon, par exemple, était fort riche ; aussi son ami Rabbi Akiva l'aidait-il à distribuer de la sorte une part importante de ce qu'il possédait. A l'inverse, Rabbi Josué était très pauvre et gagnait à peine de quoi vivre en exerçant le métier de forgeron,
Les grands érudits – et Rabbi Josué était le plus grand parmi eux – n'estimaient pas que c'était déchoir de se livrer à toute espèce de travaux subalternes pour gagner leur vie à la sueur de leur front. Certains faisaient le travail de simples ouvriers agricoles dans les champs ou les vignobles. Mais ils ne consacraient à ces besognes que juste les heures nécessaires à gagner ce qui leur permettait de subvenir à leurs besoins les plus immédiats. Le temps leur était trop précieux pour qu'ils le perdissent à gagner plus que le pain et l'eau. L'étude de la Torah, sans autre but que cette étude même, était pour eux l'occupation la plus importante. Ils conformaient leur vie au principe qui prescrit : « Mange une bouchée de pain avec un peu de sel, bois une mesure d'eau, et dors à même le sol », et ils trouvaient le bonheur dans l'étude de la sainte Torah et l'accomplissement de ses préceptes. Nombreuses sont les histoires dans le Talmud racontant la pauvreté et les privations des érudits, ainsi que leurs efforts pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires et maintenir l'équilibre nécessaire entre le corps et l'âme, afin de consacrer le plus de temps qu'ils pouvaient à la Torah.
Ceux qui s'adonnaient à cette étude étaient si nombreux que les cours avaient lieu souvent en plein air, dans les champs ou les vignobles, voire sur les places des marchés. Les étudiants étaient si dévoués à leurs maîtres qu'ils leur témoignaient plus d'affection et de respect qu'à leurs propres parents.
Car ils se rendaient compte que si ces derniers leur avaient donné la vie, les maîtres, eux, leur donnaient la vie éternelle. C'était donc un grand honneur et un privilège pour un étudiant que de pouvoir s'occuper de son maître et le servir, d'autant que cette intimité le mettait à même de mieux observer, dans la vie quotidienne, la profonde piété et les vertus morales de l'homme qui lui dispensait savoir et sagesse. On appelait cela chimouch ‘hakhamim («, servir les érudits en Torah ») ; ce service était considéré comme même plus grand que la fréquentation de leurs cours, car la piété sincère et l'aptitude à vivre en conformité avec la Torah était ce qui comptait avant tout.
Même la pluie était rare
Les Sages inlassablement mettaient l'accent sur ce point. Ainsi le grand Rabbi Judah HaNassi racontait qu'étudiant dans sa jeunesse sous la direction de Rabbi Tarfon, il avait le privilège de le servir ; et il disait que, durant sa « semaine » de service, il allait jusqu'à aider le rabbin à se chausser ; geste qui, sous son apparence banale, lui avait permis d'apprendre de son maître pas moins de sept lois. Il est sans doute superflu de rappeler que Rabbi Tarfon, riche comme il était, pouvait s'offrir les services d'autant de serviteurs qu'il désirait ; mais il ne voulait pas priver ses étudiants du privilège de le servir. Rabbi Akiva raconte, lui aussi, comment il eut l'honneur de servir Rabbi Eliézère et Rabbi Josué. Il poussait le dévouement jusqu'à cuire leur pain.
Certes, il n'était pas donné à tout un chacun d'être un érudit en Torah. La grande majorité du peuple était en butte à de graves difficultés matérielles. Le pays avait été dévasté par les légions romaines, et la pauvreté était le lot du plus grand nombre. Même la nature semblait se mettre de la partie pour rendre leur situation encore plus précaire ; car, comme l’a dit un Sage, depuis la destruction du Beth Hamikdache, les pluies elles-mêmes étaient devenues rares. En dépit de cela, les Sages faisaient de leur mieux pour répandre la connaissance de la Torah parmi les masses. Un mois avant-chaque fête importante, ils multipliaient les cours publics au peuple afin de le familiariser avec les lois des fêtes et leur signification. Leur enseignement avait délibérément la forme de récits et de paraboles simples, où les dictons populaires avaient une grande place. Grâce à ces leçons extrêmement accessibles, le peuple apprenait les hautes vertus morales inhérentes au mode de vie juif, ainsi que les grands principes de la Torah, Cette partie du Talmud, à la portée même des plus simples, est appelée Haggadah et Midrache.
Ainsi, en dépit de la terrible catastrophe qu'étaient la destruction du Beth Hamikdache et la perte de .l'indépendance, en dépit des difficultés matérielles et de la pauvreté, le temps de Rabbi Akiva fut une période de grand développement spirituel. Ce fut l'époque des prestigieux Tannaïm ; ils enseignaient la Michnah qui devait, bientôt être compilée, arrangée et publiée en six volumes par l'illustre patriarche Rabbi Judah HaNassi et ses collègues. C'est à cette époque que le caractère même de notre peuple dans son ensemble, et de chaque Juif en particulier, fut modelé et mûri de manière à ce que fût assurée la sauvegarde de notre peuple à travers le long exil et la dispersion, jusqu'à nos jours.
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