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samedi 1 juin 2019

Le syndrome K, la maladie qui sauvait les Juifs...


1943, Italie. Pendant la guerre, dans un hôpital de Rome, une étrange épidémie fait des ravages, au point qu’un service lui est dédié. Et qu’elle tient les nazis à distance.

Derrière les portes closes de l’hôpital Fatebenefratelli de Rome, un service est submergé par des patients atteints du syndrome K. Cette nouvelle maladie, inconnue – dont le nom évoque le bacille de Koch (la tuberculose) –, fait fuir les soldats allemands habituellement chargés de perquisitionner l’hôpital à la recherche de Juifs, de partisans et d’antifascistes. Redoutant d’être contaminés, les nazis n’osent pas pénétrer dans le service et poursuivent leurs recherches ailleurs.
[Cela ne fait pas longtemps, en cette fin de 1943, que] des patients hospitalisés chez qui on a diagnostiqué le syndrome K sont placés dans ce service. [Peu avant,] le 16 octobre, les nazis ont ratissé le ghetto juif et d’autres quartiers de Rome, puis déporté plus de 1 200 Juifs (seule une quinzaine d’entre eux reviendra des camps). Depuis cette date, les médecins et les moines de l’hôpital accueillent de plus en plus de patients. Des patients qui, en réalité, sont des fugitifs. Car le syndrome K n’existe pas.
Un centre de résistance politique dans la capitale italienne

Il a été inventé par Giovanni Borromeo, le médecin-chef de l’hôpital, avec l’aide de ses collègues, dans l’intention de sauver les Juifs et les antifascistes venus se réfugier dans leur établissement. Né en 1898, Borromeo est un opposant déclaré au fascisme. Avant de prendre ses fonctions au Fatebenefratelli, il s’est vu offrir le poste de médecin-chef dans deux autres hôpitaux, mais a refusé à chaque fois car il aurait dû pour cela devenir membre du Parti national fasciste. Il a accepté de travailler au Fatebenefratelli parce que cette institution est tenue par des moines catholiques et que, conformément à un accord entre l’Église et le régime fasciste, elle est considérée comme un hôpital privé, non soumise aux réglementations de l’État. Ses employés ne sont pas contraints d’appartenir à un parti politique.

Sur place, Borromeo recrute de nombreux médecins victimes de discriminations de la part du régime pour diverses raisons. Parmi eux se trouve le médecin juif Vittorio Emanuele Sacerdoti, qui a réussi à cacher quelques rescapés de la rafle du 16 octobre dans l’enceinte de l’hôpital. Dans les mois qui suivent, ce dernier devient un centre de résistance politique.

D’ailleurs, la résistance antifasciste au Fatebenefratelli ne se limite pas au syndrome K. En collaboration avec les moines, Borromeo et ses alliés installent un émetteur radio dans l’hôpital et s’en servent pour communiquer avec les partisans afin de mieux organiser la lutte. Quand Borromeo et les moines s’aperçoivent que les nazis ont repéré l’emplacement de l’émetteur, ils jettent tout le matériel dans le Tibre.

L’hôpital n’échappe pas aux perquisitions

Situé sur l’île Tibérine, le Fatebenefratelli éveille les soupçons de la hiérarchie nazie par sa proximité avec le ghetto. [À la fin d’octobre 1943,] Borromeo et ses collègues savent que les Allemands vont inévitablement venir perquisitionner leurs locaux. Dans les documents officiels, on indique alors que les Juifs hospitalisés (et d’autres patients “politiques”) souffrent du syndrome K. Ce nom est une plaisanterie, mais qui pourrait se révéler risquée : Borromeo a baptisé K sa maladie imaginaire en référence soit à Albert Kesselring, soit à Herbert Kappler. Kesselring est le commandant en chef du groupe d’armées C, qui tient le front italien. C’est lui qui ordonnera à Kappler, chef de la police nazie à Rome, de commettre le massacre des Fosses ardéatines, qui, le 24 mars 1944, coûtera la vie à 335 civils italiens. Les deux hommes seront jugés et condamnés pour crimes de guerre après le conflit.

L’expression “syndrome K” ne tarde pas à devenir un nom de code pour les gens cachés dans l’hôpital. Adriano Ossicini (qui deviendra ministre de la Famille et de la Solidarité sociale dans les années 1990) est de ceux qui envoient régulièrement des messages à Borromeo afin de réclamer qu’un nombre précis de lits soit réservé pour des patients atteints du syndrome K devant arriver prochainement. L’hôpital accueille des réfugiés jusqu’à la libération de Rome par les Alliés (le 5 juin 1944).

Pietro Borromeo, le fils de Giovanni, a depuis raconté que, comme attendu, à la fin d’octobre 1943, les nazis ont donc perquisitionné le Fatebenefratelli, à la recherche de Juifs et d’antifascistes. Son père leur a fait visiter l’hôpital et leur a décrit en détail les terribles effets du syndrome K sur les victimes. Puis il les a invités à inspecter le service. Les nazis, accompagnés d’un médecin, ont refusé et sont partis sans demander leur reste.

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Un acte de résistance spontané

Il existe diverses versions de l’incident, mais toutes confirment que le syndrome K a bien été inventé. Si le fils de Borromeo, Pietro, affirme que toute l’affaire s’inscrivait dans une campagne planifiée et systématique de lutte contre le fascisme, Ossicini et Sacerdoti, eux, estiment qu’il s’agissait surtout d’une improvisation, d’un acte de résistance aussi spontané que désorganisé face à la dictature.
Une chose est sûre, le syndrome K a maintenu les nazis loin des “patients”, et cette maladie fictive a sauvé bien des vies. Le courage de Borromeo a été salué en Italie comme au niveau international. En 2004, longtemps après sa mort en 1961, Yad Vashem, le mémorial israélien dédié aux victimes de la Shoah, lui a décerné le titre de “juste parmi les nations”, attribué aux gentils qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs durant l’Holocauste. L’histoire du syndrome K met aussi en lumière l’ambiguïté du rôle joué par l’Église catholique sous le fascisme : elle préférait souvent fermer les yeux sur ce qui se passait dans l’Italie de Mussolini, mais soutenait aussi parfois la lutte contre la tyrannie.
Francesco Buscemi

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