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samedi 11 mai 2019

J'ai quitté la France il y a dix ans et je ne le regrette pas...


Voilà presque dix ans, je quittais la France. Ce fut une décision ni facile ni difficile, juste une évidence: il était simplement temps de partir. J'avais envie d'ailleurs. De lointain. De changements.
Je n'avais pas l'âme voyageuse –je ne l'ai toujours pas–, mais coulait dans mes veines le parfum de l'errance, ce désir de découvrir un pays où je pourrais être moi-même sans renoncer à ce que j'étais, un être sans attaches, sans racines, sans souches bien définies.
À la réflexion, je crois que je quittais davantage Paris que la France. On ne dira jamais combien Paris, pour ses habitants les plus modestes, ceux condamnés à payer des loyers astronomiques pour avoir le droit de croupir dans des cages à lapin, est une ville dure, inhospitalière, brutale, capable de vous broyer en un tour de main.
Rien n'y est simple, les incivilités nombreuses, l'air malsain, le coût de la vie exorbitant, la méfiance généralisée, et dans cette jungle urbaine, la vie au quotidien demande des trésors d'énergie et de patience.
La province ne me disait rien; tant qu'à quitter ma ville natale, autant partir loin, raisonnais-je. Plus généralement, la France me fatiguait. Je n'avais pas l'esprit gaulois et dans ce pays où l'on aime à se penser comme l'alpha et l'oméga de l'univers, j'étouffais. Je n'en pouvais plus de l'arrogance française, de ce sentiment de supériorité qui affleure dans toutes les conversations quand on regarde le reste du monde avec un brin de condescendance et de mépris.
Moi, le fils d'étrangers, le juif de nulle part, l'apatride du sentiment national, je recherchais la tranquillité d'esprit, la simplicité de l'âme, la modestie comme valeur cardinale. Être au monde sans prétendre en être le centre. Cesser avec cette glorification cocardière, cette exaltation de l'excellence hexagonale, du soi-disant génie français, de cette certitude d'être, parmi toutes les nations, celle choisie par des dieux bienveillants pour y installer ses quartiers.
Aussi ce refus d'entrer dans la normalité du siècle, de ce monde bouillonnant et ouvert, pour mieux vanter un particularisme qui serait celui d'une nation à nulle autre pareille, que le monde entier regarderait avec admiration et dévotion, là où la plupart du temps, il la contemple en se demandant ce qui peut bien clocher dans ce drôle de pays, où l'on manifeste sitôt que l'on essaye de réformer un secteur ou un autre de l'économie. Où l'on brûle des voitures pour se changer les idées. Où l'on pratique la discrimination à l'emploi, au logement, sans même s'en rendre compte. Où les circonstances de votre naissance décident déjà de votre avenir. Où l'on ne respecte pas grand monde, ni ses populations handicapées, ni ses nouveaux venus, ni ses indigents. Où l'on s'engueule pour un rien, une place de stationnement ou un respect trop pointilleux du code de la route, où le vivre-ensemble s'apparente une impossibilité métaphysique, où l'insatisfaction est une maladie chronique, où l'école au lieu d'élever ses collégiens les abrutit de connaissances superflues au point d'assassiner leur enfance.
J'ai honte de le dire, mais après toutes ces années passées loin d'elle, la France, en tant qu'espace géographique et culturel, ne me manque pas –ou si peu. Dans un monde où la culture est globale, l'information accessible de son salon, les divertissements au fond partout les mêmes, comme les produits et les magasins, l'appartenance à un pays bien défini m'apparaît comme une prétention obsolète. Et si je peux comprendre le patriotisme, sa frontière avec le nationalisme et son cortège de fantasmes mortifères est bien trop mince pour que je cède à ses sirènes.
Il faut essayer d'être soi, ici ou ailleurs, hier comme aujourd'hui, simple personne qui se débrouille comme elle peut pour exister –sans se prendre pour le nombril du monde, sans passer son temps à donner des leçons à la terre entière.
Il n'existe pas d'art de vivre à la française, comme aime le proclamer notre président, tout juste des rituels et des habitudes propres à chaque pays selon son histoire, sa géographie, sa culture. Nous avons tous une communauté de destin qui dépasse de loin, de très loin les particularismes nationaux, ces impasses de la pensée où s'égarent les esprits chagrins.
Pourtant, j'aime la France –à ma manière: sans exagération, avec le respect d'un fils un peu turbulent qui sait combien il est redevable à ses parents. Quelque part, je dois tout à la France: ce que je suis comme ce que je ne suis pas. Mon amour de la langue française est infini, ma passion pour sa littérature totale.
J'écris sur elle, je la surveille de loin comme ce père un peu distant qui suit les progrès de sa progéniture sans affecter d'y paraître, mais toujours soucieux de son évolution. Quand elle souffre, je souffre avec elle. Je la promène avec moi. Sans ostentation, mais sans honte non plus. Conscient de l'importance de son héritage comme de ses faiblesses.
Et après tout, si je la juge parfois avec une si grande sévérité, c'est que je lui dois être particulièrement attaché, non?

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