La vanille est une épice complexe et plurielle, qui se choisit avec précision. La vanille Bourbon de Madagascar, de la variété Planifolia, représente 85% de la vanille produite dans le monde. Elle est dotée d’une intensité profonde grâce à ses notes balsamiques, phénoliques et boisées, et offre un voyage sensoriel unique à vos créations culinaires.
Depuis plusieurs mois, le monde de la pâtisserie boude la vanille. Parmi les grands chefs, le Meilleur ouvrier de France Gilles Marchal, installé sur la butte Montmartre à Paris, déclarait avec regret, en février, travailler beaucoup moins cette gousse noire et suave en forme de haricot. "Nous n'avons pas changé les recettes, mais nous avons réduit la gamme de produits contenant de la vanille. On en utilise moins, expliquait l’ancien chef du Plaza Athénée et du Bristol. Aujourd’hui, nous ne faisons des flans que le week-end."
Si la vanille de Madagascar se fait de plus en rare en cuisine, c’est parce qu’elle se vend désormais à prix d’or. Le prix du kilo a bondi de 50 dollars (42 euros) en 2012-2013 à 400 dollars (340 euros) en 2016-2017, selon le rapport Cyclope 2017, bible des produits de base commercialisés sur les marchés internationaux. "Aujourd'hui, la vanille est facturée à 600 dollars le kilo (485 euros), c’est énorme !", précise Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar (GEVM).
Comment cette épice, extraite du fruit de l’orchidée, est-elle devenue une des plus chères au monde ? Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette flambée des cours, avec notamment une spéculation incontrôlée et une chute de la production sur l’île de Madagascar, qui représente à elle seule 80 % de la production mondiale. La Grande île a subi le passage du cyclone Enawo, en mars 2017, qui a détruit de nombreuses des récoltes, suivi de grosses périodes de sécheresse qui ont considérablement affecté les rendements et les qualités. Pendant ce temps, les pays occidentaux connaissent, eux, un véritable engouement autour des arômes naturels.
"Les voleurs de vanille"
Dans la région de Sava, dans le nord-est de l'île, où l'on trouve 24 000 des 29 500 hectares de plantation vanillée, cette hausse des prix tranche avec le niveau de vie de la population, "qui gagne en moyenne un euro par jour", rappelle Georges Geeraerts, également directeur général d'une société de transformation de la vanille. Si les producteurs locaux profitent des retombées de cette flambée des prix, ils suscitent aussi une grande convoitise.
Des vols de cultures ont été signalés au point que des communautés ont réclamé des rondes de la police. "On est sur le qui-vive en permanence", affirme Dominique Rakotoson, producteur et gérant d'une société d'exportation, victime de vol en 2017. "Beaucoup d'entre nous dormons au milieu des plantations pour surveiller nos récoltes. La semaine dernière, un homme a tenté de dérober des plants dans notre communauté, il a été lapidé", poursuit-il. Des dizaines de personnes ont été appréhendées ces dernières semaines dans les zones de production, selon plusieurs observateurs de la région. Certaines ont fini lynchées par la population. "Aujourd'hui, dans le pays, les gens ne font confiance qu'à la justice populaire", commente Georges Geeraerts.
À cette criminalité vient s’ajouter le blanchiment d’argent issu du trafic du bois de rose. "C'est un fait : la vanille est utilisée pour blanchir l'argent provenant illégalement des ventes de bois de rose", affirme Dominique Rakotoson, qui pointe du doigt l'instabilité politique de Madagascar. "Une grande mafia est derrière tout cela et [ses membres] sont proches de notre gouvernement", ajoute-t-il
"Ersatz de vanille"
Pour éviter tout risque d’inondation ou de vol, Dominique Rakotoson et de nombreux producteurs ont été contraints de récolter et de vendre avant maturité, quitte à affecter la qualité des gousses. "Je n’ai pas eu d’autre choix que de cueillir à huit mois, reconnaît-il. On a tous fait pareil." Or, la vanille arrive à maturité à neuf mois, en sachant que "les quelque 400 précurseurs aromatiques se réveillent dans les dernières semaines, souligne Georges Geeraerts. Si on les cueille trop tôt, on se retrouve avec un ersatz de vanille, sans le moindre parfum."
Conséquence : le secteur souffre aujourd’hui d’une baisse de la qualité, qui se traduit par une chute du taux de vanilline dans la gousse. En 2017, il plafonnait à 1 % alors qu'il est habituellement de 1,8 % pour une gousse de bonne qualité.
Les spécialistes ne cachent pas leur inquiétude face à cette filière en péril entre une forte demande, une qualité médiocre et une faible production. "Contrairement à la crise de 2003, qui avait duré quelques mois, celle-ci semble s’installer dans le temps", confie George Geeraerts. Depuis que le marché a été libéralisé en 1989, le prix de la vanille a toujours connu des hauts et des bas : 400 dollars le kilo en 2003, pour chuter à 30 dollars en 2005, prix auquel il s'est stabilisé pendant environ cinq ans. "Aujourd'hui, la filière est vraiment en danger", commente le président du GEVM.
Arômes de synthèse
Les conséquences sont déjà palpables dans les ateliers de cuisine : certains pâtissiers, industriels ou artisanaux, ont remplacé la vanille naturelle dans leur recette par des arômes de synthèse, vendus entre 10 et 15 euros le kilo. "Si les professionnels de l’agroalimentaire adoptent ces substituts, cela va être difficile de les faire revenir vers les arômes naturels", argue George Geeraerts.
Les acteurs de la filière vanille se sont mobilisés en créant une plateforme nationale de la vanille (PNV), chargée de redorer le blason de la reine des épices. Sa mission consiste à lancer une date officielle d’ouverture de récolte et d’améliorer la traçabilité de la production. "La multiplication des contrôles et des identifications des planteurs devrait permettre d’assainir la filière et de permettre de faire chuter la criminalité", commente le président du GEVM.
Pour sa part, Dominique Rakotoson déplore les méthodes utilisées, qu’il juge "peu morales". "C'est la prime à la délation", regrette le producteur, même s’il reconnaît toutefois que "les mesures semblent faire leurs preuves".
Une prise de conscience est en train d'opérer, se réjouissent les acteurs de la filière vanille. D'autres pays comme l'Ouganda, l'Indonésie ou l'Inde, se sont positionnés sur le marché pour produire cette épice, la plus vendue au monde. "Si l'offre devient supérieure à la demande, on peut alors espérer une révision décente des cours, qui induirait une amélioration immédiate de la qualité", commente Georges Geeraerts, persuadé que "l'épice peut retrouver des prix équilibrés qui correspondent à ses titres de noblesses. J'ose espérer qu'il n’est pas trop tard."
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