L’historienne, commissaire de l’exposition « Le marché de l’art sous l’occupation » qui a lieu jusqu’au 8 novembre au Mémorial de la Shoah et experte de la question de la spoliation et restitution d’œuvres juives, Emmanuelle Pollack sort un livre-somme sur la question du marché de l’art pendant la seconde guerre mondiale en France. Important.
Alors qu’on célébrait le 3 décembre 2018 les 20 ans de la Déclaration des Principes de Washington qui en 1998 réunissait 44 Etats et se fixait pour objectif de rendre à leurs propriétaires et leurs héritiers les quelques 650 000 œuvres confisquées à des juifs par le régime nazi. Et alors que la France a relancé la Commission Mattéoli de 2001 à l’été 2018 avec une mission consacrée à la recherche et à la restitution des biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale pour hâter le processus, sous la direction de l’historien David Zivie, chargée de restituer les 2108 biens encore à rendre sur les 2143 dénombrés en 2001, le livre d’Emmanuelle Pollack permet de comprendre comment s’est structuré le marché de l’art pendant l’occupation, comment une législation confiscatoire a été mise en place au sein d’une collaboration poussée et intéressée, comment Otto Abbetz et les occupants nazis sont venus se servir, mais aussi comment Drouot et un écosystème de marchands français ont fleuri comme jamais dans ces années-là, ce que sont devenus les galeristes et marchands d’art juifs comme Pierre Loeb, Paul Rosenberg, Bernheim, ou René Gimpel et comment un réseau de commissaires priseurs en zone libre (à Nice notamment) a aussi fait son beurre des Statuts des Juifs.
Mais l’historienne explique également le sauvetage de certaines œuvres par Rose Valland, le statut MNR, la lente implication de l’Etat Français pour la restitution (il a fallu attendre le fameux discours de Chirac du 16 juillet 1995 reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs du pays) et les pesanteurs administratives et des volontés rencontrées par la Commission Matteoli. Et elle nous raconte aussi les derniers progrès, l’accélération récente des restitutions et commence même le livre par la découverte en 2012 de 1258 oeuvres juives en banlieues de Munich. Un livre riche, important et qui laisse espérer qu’il n’est pas impossible plus de 70 ans après qu’à défaut de réparer les dommages, les vies ruinées et prises, le travail de la justice et des historiens puissent rendre à de nombreuses familles les œuvres qui leur ont été spoliées. Un bel exemple d’histoire qui a encore ses effets sur l’ici et maintenant et où l’auteure parvient à garder un cap ferme, engagé et décidé entre les deux pôles de l’archive et du politique.
Emmanuelle Pollack, Le marché de l’art sous l’occupation, 1940-1944, Taillandier, 304 p., 21,50 euros, sortie le 21 février 2019.
visuels : couverture du livre
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