Un jour, un prince fatigué de se voir raillé en secret par des citoyens de sa cité alla quérir conseil auprès d’une sage, conseillère des puissants comme des miséreux, détentrice d’un savoir précieux.
« Sage dis-moi, toi qui connais les secrets du palais comme ceux de la demeure des fermiers, toi qui sais ce qui rend heureux ou malheureux les Hommes quelle que soit leur condition, pourquoi je sens que quelque chose pèse dans l’atmosphère quand je passe au milieu de mes sujets, et que ceux-ci semblent ne me reconnaitre aucune légitimité à gouverner, pourquoi j’entends ces voix dissonantes et sourdes dans le vacarme des houra de la foule ? Je pensais que ce n’était que des fous ou des misérables que le sort n’a pas épargnés et qu’ils se trouvent une raison à leur malheur en me désignant comme un responsable de leurs souffrances. Mais j’entends de plus en plus souvent ces voix sourdes et dissonantes dans le vacarme moins bruyant désormais de la foule, et parfois pèse même un silence qui en dit plus long encore que le souffle de ces voix. »
La sage ne sachant comment répondre au prince désemparé en vint à l’idée de le confronter à un fermier pour entamer un dialogue pouvant porter un sens plus intime et profond à la remise en question du prince :
« Prince, tu as une bien grande charge dans l’administration de cette cité, et tu connais le prix à payer pour ces responsabilités, la médisance est nourricière pour le cœur saigné des hommes endeuillés par les maux de cette société, et tu ne dois pas oublier que tu n’es pas responsable de tout ce qui se passe dans le cœur de notre cité et malgré cela il y aura toujours des voix pour chuchoter en secret et même aller jusqu’à ourdir des complots et s’imaginer une autre réalité. Mais il ne faut pas oublier que tu es Prince et que c’est ainsi que tu as décidé de gouverner, et que si tu ne rends pas acteur de leur vie ceux aux cœurs saignés et endeuillés alors tu auras toujours ces voix qui s’élèveront et parfois, et peut être même souvent, à raison, car ils t’ont déféré leur souveraineté. Pourquoi ne pas te confronter à l’un de tes citoyens, je connais un fermier qui pourra nous faire avancer dans ce cheminement. »
Le Prince, quelque peu troublé par la franchise de la sage qui n’avait pas hésité à appuyer sur ses doutes pour asseoir le débat sur sa légitimité à gouverner, se rappela alors pourquoi les sages existaient et qu’ils avaient heureusement la liberté de provoquer les maitres de la cité tant que leur avis éclaire les sombres nuées des pensées troublées et il trouva particulièrement séduisante l’idée d’un dialogue auprès d’un fermier par la médiation de la sage.
Ils s’en allèrent donc à la demeure du fermier, une petite chaumière sans prétention aux abords de la cité, assez loin pour pouvoir bénéficier d’un peu de calme de la campagne alentour, assez proche pour pouvoir appréhender le vacarme assourdissant de la vie fourmillant dans les artères de la cité et les excès des hommes qui s’y livrent lorsqu’ils font communauté.
Le fermier avait une femme et deux enfants qui étaient d’une grande importance à ses yeux et la quête de bien être de sa famille était sa raison d’être.
Le fermier fit une égale révérence au prince et à la sage, tous deux les invités de son foyer et le prince s’empressa sans plus attendre de poser son questionnement à peine fut il introduit par la sage auprès de son sujet : « La sage t’as fait comprendre ma venue ici et je dois te dire que ton honnêteté compte plus avant tout que toute révérence à mon égard et tu ne dois pas te laisser abuser par l’autorité que je représente pour te livrer en toute liberté sur les états d’âme qui parcourt ton esprit et ce que tu connais de l’opinion de tes pairs envers leur suzerain. J’écoute alors avec attention tes propos et t’en serais grandement reconnaissant ».
« Du Désir à la Haine il n’y a qu’un pas mon Prince » C’est en ces termes que répondit simplement le fermier s’affairant à la préparation du souper de sa maisonnée.
Puis il reprit devant la surprise du Prince qui s'apprêtait à le questionner davantage :
« Du désir de gouverner à la haine des gouvernés
Du désir d’être aimé à la haine des méprisés
Du désir d’être bon à la haine de son humanité
Du désir d’être un père, à la haine de ce que l’on a enfanté
Le désir peut se mouvoir en haine avec une telle facilité mon Prince, et c’est bien là le cœur du sujet.
Si tu aimes sincèrement les habitants de ta cité et que tu épouses l’esprit profond, l’âme la plus pure et belle de celle-ci alors tu ne peux qu’obtenir le soutien le plus large et solide que tu puisses seulement rêver. L’amour d’un père pour un fils, l’amour d’un frère pour sa sœur, l’amour d’un homme pour sa femme, tu dois chérir les habitants de cette cité comme tes pairs, alors tu entendras leurs plus intimes secrets, tu connaitras jusqu’à l’odeur de leur souper et les rumeurs qui fondent leurs soirées à bavasser.
Si tu aimes sincèrement tes pairs alors tu entendras le son de la misère, les coups de burins et les cliquetis des fers frappés avec ardeur par le labeur des ouvriers, l’appel des enfants abandonnés dans les ruelles froides quémandant leur pitance mais aussi les rires les jours de noces et des fêtes populaires, les chants des quartiers contant les souvenirs des anciens, les belles histoires faites de l’imaginaire des troubadours partis quérir les nouvelles du Monde.
Si tu aimes sincèrement tes pairs alors tu verras les haillons des manants qui s’écharpent à s’extraire de leur enfer, l’insalubrité des sanitaires répandant les maux de la souillure de la terre, les enfants frappés par la mort leurs yeux s’éteignant dans la noirceur de leur nuit solitaire, mais aussi les sourires sur les visages des apprentis conquis par leurs nouveaux talents enseignés par leurs maîtres, les couleurs chatoyantes des habits de parade des gardes et chatelains quand sonnent les cérémonies, les hauts clochés scintillant de l’éclat des rayons du soleil, les épais murs protecteurs donnant force et caractère au cœur des habitants.
Si tu aimes sincèrement tes pairs alors tu goûteras à ce qui habite leurs âmes et tu pourras juger avec eux ce qui convient pour le cœur de la cité, en oubliant la prospérité d’aucun de ses protégés, voilà qui fera de toi non pas un être aimé, ni désiré, mais plus encore, un être heureux. »
Et alors comme un symbole, accoururent les deux enfants du fermier qui s’élancèrent dans ses bras tout heureux de retrouver leur père après une journée loin de lui. Et le sourire du fermier heureux resta l’image gravée qui scella le discours du fermier dans le cœur du Prince enchanté.
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