(en photo, les rois d'Israël, qui ornent la façade de Notre-Dame)
Hier matin , à la lecture du message d’un ami sur un groupe communautaire, en réaction à l’incendie qui a touché la cathédrale en plein cœur de Paris, je me suis d’abord demandé si c’était un troll… Mais comme tous les groupes « synagogue » ou presque dans lesquels je suis relaient ce genre de commentaire enthousiastes, je me fends d’une inepte et trop brève réflexion pour prendre un peu de hauteur. C’est sûr qu’avec ses 93 mètres de haut, la flèche qui s’est effondrée avant-hier soir nous en demande, de la hauteur.
Bref, commençons.
1) Je fus en premier lieu étonné de ces fameux « rappels historiques » sur l’antijudaïsme de l’église au moyen âge (et non pas « antisémitisme » comme certains ont pu le mentionner, ce dernier étant un terme du 19eme siècle). Dès lors que certains de nos coreligionnaires exprimaient leur émotion, voire leur tristesse face à l’incendie de la cathédrale, immédiatement s’élevaient des voix pour rappeler l’inquisition catholique, l’autodafé du Talmud ou autres bûchers imputés à l’Eglise.
Comme si cette tristesse, ou cette émotion, de la part d’un juif, avait quelque chose d’illégitime ; ou pis, comme si ces remarques étaient chargées d’un sous-entendu : « quelque part, ils l’ont mérité ».
Dans le premier cas, ceci impliquerai que l’on ne peut pas être fidèle à notre judaïsme en éprouvant de la sensibilité pour la peine des autres nations, ou par simple sensibilité culturelle et historique ce qui me semble bafouer certains fondements de notre religion, dont la compassion et l’empathie envers l’étranger nous est rappelée maintes fois. (Par exemple, Lev. 19:34, Deut. 10:19. Maïmonide souligne que l'amour de l'étranger est mentionné plus souvent que l'amour de Dieu. C'est dire !)
Dans le second cas, celui qui ferait de ces « rappels historiques » une sorte de justification ou tout du moins un parallèle douteux et anachronique avec des évènement passés, y voyant là comme un signe ou une vengeance divine, il serait intéressant d’entrer davantage dans les détails, comme je le propose c-dessous.
2) A tous ceux qui tentent de faire des parallèles avec l'autodafé du Talmud de 1242 ou n’importe quelle haine de l’Eglise vis-à-vis du judaïsme, c’est une idée tout à fait merveilleuse et passionnante. Elle présuppose la volonté absolue du Créateur qui, dans Son infinie bonté, compense un mal par un bien, et le fait dans une harmonie tout à fait symétrique digne d’une loi du talion grandiose et apothéotique. Toutefois, sans rentrer dans de complexes considérations sur la théodicée ou la dimension expiatoire d’un tel holocauste, on est en droit de se demander : si les flammes qui ont ravagé Notre-Dame de Paris avant-hier soir résultent de la volonté divine, alors sans doute le brûlement du Talmud aussi – admettre l’un sans l’autre contreviendrait à la toute-puissance de notre Créateur. Et l’on en vient à une question toute d’actualité : pourquoi, dans ce cas, l’Egypte a-t-elle été punie ? Après tout, si les rudesses de l’esclavage furent voulues par notre Créateur, les Egyptiens, involontaires instruments de la volonté divine, n’auraient pas dû subir de tels châtiments. Parmi les réponses proposées par nos sages, j’ai en tête celle-ci : c’est parce qu’ils ont volontairement endurci l’esclavage au-delà du strict nécessaire voulu par le Créateur.
Transposons : l'autodafé du Talmud de 1242 fut-il un « simple » signe voulu par le Tout-Puissant pour alerter les Juifs sur une quelconque faute ou fut-il un accablement supplémentaire voulu par les Chrétiens ?
Il faut lire les chroniques pour s’intéresser aux semaines de débats entre Chrétiens et Juifs, voulus par le pape et le roi Saint-Louis (le même Saint-Louis dont les reliques ont été sauvées in extremis de l’incendie… y verra un miracle qui veut). A cette lecture, on se rend compte que la controverse fut engendrée par Nicolas Donin, un juif converti, que le procès a duré deux ans, et qu’en définitive, c’est le pape Innocent IV qui a ordonné l'autodafé car l’Eglise estima finalement que le Talmud contenait des passages remettant en question la divinité de Jésus. Rien d’absolument sadique donc, mais une forme organisée de procès aboutissant à un verdict, certes absurde pour nous, Juifs – et plus généralement humanistes – d’une ère sécularisée, mais tout à fait dans l’ordre des choses à l’époque médiévale.
Voyons donc cet événement comme un « simple » signe divin et non comme un acharnement absolu de ces mêmes Chrétiens. En conséquence, l’incendie de Notre-Dame de Paris – pour signe divin qu’elle soit – ne saurait être le châtiment imposé par une loi du talion qui viendrait compenser le brûlement du Talmud. Et j’ajouterais, ou toute autre oppression vécue par les Juifs, selon le même raisonnement.
3) Quand bien même nous aurions du ressenti envers les catholiques du 13e siècle, en quoi celui-ci devrait affecter nos rapports avec les catholiques d'aujourd'hui ? Avons-nous oublié que l'Église Catholique a eu le courage, lors du Concile Vatican II, de réformer sa propre théologie en expurgeant toute haine du juif ou du judaïsme ? Alors pourquoi ne saurions nous-mêmes pas capables d'expurger nos ressentiments à l'égard de milliards de croyants ?
4) A tenter de lire les signes divins, on y lit surtout ce qu’on veut y lire. En quoi l’incendie de Notre-Dame serait-elle un châtiment divin ? Après tout, quelques jours à peine avant l’incendie, des statues de grande valeur furent retirées pour être restaurées. On peut tout aussi bien y voir un miracle du Seigneur qui, dans Son infinie bonté, a sauvé des flammes ces chefs d’œuvre. Si l’incendie devait se produire, à coup sûr diront certains, le Tout-Puissant a envoyé un signe d’espoir aux Catholiques pour les inciter à reconstruire et à embellir davantage.
5) Des siècles d’érection d’un monument à la gloire du Tout-Puissant partis en fumée. On peut ne pas être d’accord sur le plan théologique, on peut accuser les Chrétiens d’idolâtrie (position ô combien discutable de nos jours), on peut affirmer l’unicité du Dieu d’Israël, toujours est-il que la foi de ces bâtisseurs fut le fondement de cette cathédrale. Nous avons donc assisté non seulement à l’incendie d’un bâtiment, mais à la blessure de millions – voire de milliards – de croyants. Dans un monde où l’athéisme fait chaque jour davantage d’émules, doit-on se réjouir – ou en version plus politiquement correcte « ne pas s’apitoyer – de cette blessure ? En tant que Juif croyant – pléonasme diront certains – je ne peux que m’affliger devant la destruction d’un édifice érigé à la gloire du Tout-Puissant. Ne pas le faire serait affirmer orgueilleusement que l’on a la pleine science de la volonté divine et de son action dans le monde. Vanité des vanités… Comme le disent les Chrétiens, « les voies du Seigneur sont impénétrables »
6) Rappelons également que le judaïsme ne nie pas aux autres peuples et aux autres religions le droit d’exister. Bien au contraire, le peuple juif a besoin des autres nations pour exister. Notre mission « épiscopale » n’a de sens qu’intégrée dans une économie globale du monde, avec ses peuples et ses croyances.
7) Notre-Dame n’est pas seulement chrétienne. Elle est un symbole culturel qui dépasse de loin le simple enjeu théologique. Certes, tout le monde a en tête le roman de Victor Hugo qui révèle davantage la psychologie paradoxale des personnages – un juge consumé par ses passions, un miséreux difforme au cœur bon – que la suprématie de la chrétienté. Bien plus, son architecture, ses vitraux, ses statues – y compris celle décriée sur les réseaux sociaux de la Synagogue aveugle – sont devenus des icônes de la culture occidentale. On peut critiquer cette culture, montrer comment elle assimile les cultures minoritaires, les détruit, ou au contraire les oppose, on peut déplorer les épurations ethniques commises en son nom depuis des siècles – croisades, pogroms, génocides… – mais on ne peut nier l’étendue de cette culture, sa diversité, sa capacité à explorer l’inconnu, à symboliser ses croyances, à bâtir des mythes puissants qui font aujourd’hui l’humanité avec toute sa complexité. L’incendie de Notre-Dame a amputé cette humanité d’un de ses joyaux. Il y a donc lieu de s’apitoyer sans réserve.
8) Enfin, depuis deux décennies environs, nous assistons à une radicalisation évidente de notre communauté. On peut le comprendre, on peut l’expliquer : antisémitisme, intifada, messianisme « fin de siècle »,… Mais les messages que l’on lit çà et là révèlent combien, collectivement, hélas, nous nous éloignons des idéaux d’ouverture et d’universalisme du judaïsme qui nous a précédé. Une techouva urgente s’impose. Si nous sommes une nation de prêtres, alors nous le sommes pour le monde entier et ce qui doit animer notre comportement et notre ardeur envers le Créateur, c’est la bonté envers ses créatures car toute la Torah enseigne cet impératif de bonté. « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse, le reste n’est que commentaire, va et apprend » nous rappelle Hillel… Se replier sur soi avec pour tout argument : « c’est bien fait, c’est un lieu d’idolâtrie et d’abord, il y a 777 ans, voilà ce qu’ils nous ont fait… » est totalement contraire à ce qu’enseigne le judaïsme, à mon humble avis.
Concernant le rapport du judaïsme aux autres et aux autres religions, voir également: http://www.modernorthodox.fr/wp-con…/uploads/a-son-image.pdf
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