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mardi 16 avril 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin...

Laurent Joffrin

La cathédrale humaine

Notre-Dame pour tous… En quelques minutes, l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale de Paris s’est changée en vague planétaire. Réactions innombrables, témoignages de soutien, sidération internationale : le monde entier a été frappé au cœur par cet incendie ravageur, il a tremblé pour les deux tours menacées par les flammes, lointain écho du 11 septembre, il a produit un élan sans frontières de compassion et de solidarité. Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Quelques idiots ont suggéré que la chute de la flèche qui surmontait l’édifice symbolisait celle, prochaine, de la civilisation française, ou même de la chrétienté tout entière. C’est le contraire qui est vrai : une fois le choc éprouvé, il n’est question que de souscription, de mobilisation, de reconstruction, de projets d’avenir. Une nouvelle fois, les sociétés démocratiques montrent qu’elles n’ont rien à envier aux autres en matière de résilience et d’opiniâtreté.
Pourquoi cette émotion mondialisée ? Pourquoi Français et étrangers ont-ils pensé que c’était, somme toute, une part d’eux-mêmes qu’ils voyaient partir en fumée ? Les «racines chrétiennes», diront certains. C’est une petite partie de la réalité, attestée par les groupes en prière rassemblés autour du bâtiment dévoré par les flammes, incarnée par la conscience meurtrie de la France catholique. Mais Notre-Dame, on le sent bien, est tout autre chose. Identité française ? A coup sûr. Entre Jeanne d’Arc, Henri IV, Louis XIV, Napoléon, De Gaulle ou l’abbé Pierre, une partie de l’histoire du pays s’est déroulée sous ces ogives lancées vers le ciel. Le «fonds indivisible d’impressions, d’images, de souvenirs, d’émotions» qui forme l’attachement à la Nation (Jaurès) a été incendié : chacun se sent atteint. A quoi fait écho Marc Bloch : «Qui n’a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n’est pas vraiment français.» Chrétienne mais aussi républicaine – voir la Libération de Paris et le Te Deum pour la Résistance – Notre-Dame est une pièce de cet édifice de mémoire qui unit un pays, au-delà de ses déchirements, quand la cathédrale, joyau du patrimoine populaire, est un sémaphore pour ce peuple parisien rebelle et patriote à la fois. Victor Hugo l’avait compris, qui en a fait un monument du peuple, plus que des prêtres et des puissants. On lui a même reproché, à la parution du roman, d’avoir mis de côté sa force spirituelle, au profit de passions trop humaines, celles de Frollo, d’Esmeralda et de Quasimodo.
Mais il y a plus. Dans le monde tourmenté par les conflits de tous ordres, dans un paysage culturel agité par les réseaux et l’omniprésence des médias de l’éphémère, Notre-Dame de Paris est un môle de paix et de profondeur de temps. La religion de la culture, dans les sociétés modernes, est aussi forte que la religion tout court. L’hymne à la beauté et à l’harmonie d’un monument révéré vaut tous les cantiques de tous les cultes. La culture, l’histoire, le passé, l’esthétique, réunissent par l’émotion ce que la philosophie des droits de l’homme rassemble par la force des principes. Le respect pour les œuvres offre un pendant affectif à la froideur de l’universalisme. Comme la liberté et l’égalité en sont l’esprit, l’amour de la culture en est l’âme, qui vient compléter, corriger, transcender, la froideur de la civilisation technicienne.
LAURENT JOFFRIN

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