Juif, plus que tunisien?
Devenu français à l'âge de trente ans, en 1964, j'ai été, je suis un juif tunisien.
Pourquoi d'abord juif avant d'être tunisien? C'est le regard des autres, y compris lorsqu'il
semblait dénué du moindre racisme, qui a toujours fait de moi, en Tunisie, d'abord un juif.
C'est aussi en raison de la vigueur du lien communautaire. Débordant largement de la
sphère du religieux, ce lien se caractérisait par un affichage social délibéré. Aussi était-il
parfois bien difficile de tenter de vivre sa judéité sur un mode laïc.
L'empreinte familiale
Je suis issu d'une famille modeste qui a lentement accédé au niveau de classe moyenne. Je
garde de l'éducation que j'ai reçue une croyance forte dans les vertus du travail, dans la
possibilité d'une émancipation sociale par le savoir. Une morale exigeante, d'essence
religieuse, mettait en avant l'esprit de tolérance, le souci du respect et de l'écoute de l'autre,
tout particulièrement des plus démunis. Mon père, habituellement enclin à l'indulgence,
condamnait le comportement de ceux qui, boursouflés par leur vanité, ne prêtaient pas
attention aux humbles.
Ma famille faisait un pont entre les deux parties de la communauté juive que tout opposait :
les Twansâ, les Tunisiens, auxquels se rattachait la famille de mon père et les Grana, les
Livournais dont ma mère était issue.
Grana et Twansa
La communauté des "granas", pluriel de gorni, habitant de Ligorno, Livourne, défendra avec
ténacité jusqu'au milieu du XX ème siècle, sa revendication d'autonomie face aux juifs
"twansa". Elle avait ses synagogues, ses lieux d'abattage rituel, sa juridiction propre, des
règles de vie différentes de celles des twansa et même des cimetières distincts ..
Ils étaient présents à Tunis dés le XVII ème siècle, et c'est à propos d'une querelle sur la
distribution de la viande que se produisit en 1710, le schisme par lequel la communauté
livournaise se constitua. Elle s'arrogea en particulier un droit d'abattage rituel. Après un long
contentieux, l'accord de 1741 organisa le partage des droits et devoirs au sein de chaque
communauté, y compris au niveau de l'impôt dû au souverain.
L'opposition était culturelle; européanisés, les granas ne voulaient pas habiter la Hara , ni
renoncer aux coutumes ni à l'habit européens. Ils comptaient dans leur rang des négociants,
des armateurs. Les liens permanents que ces commerçants maintenaient avec leurs
correspondants européens leur ont permis de pérenniser cette ouverture culturelle. Ils
habitaient à Tunis en lisière du quartier franc (rue de la Glacière) puis, dés la construction de
cette dernière, dans la ville européenne. Tout en pratiquant l'usage de l'arabe, ils ne
renonçaient pas à l'italien. Ils ont beaucoup contribué à répandre en Tunisie au XIX ème siècle
la connaissance des oeuvres philosophiques et littéraires de l'Europe des Lumières. Comme
l'accord de 1741 plaçait sous leur juridiction l'ensemble des juifs issus des pays chrétiens, le
terme grana devint peu à peu un terme générique qui pouvait également concerner des juifs
non originaires de Livourne mais d'autres parties de l'Italie ou d'autres pays d' Europe.
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