Le bonheur de Paris, c'est ce mélange inimitable du désuet, du sentimental et du désir.
Finalement, à lire nos amis du monde entier, Paris reste la capitale sentimentale de la gastronomie. Partout, les chefs comme les critiques ont souvent connu ici leurs premiers émois. Et, à qui a l'âme clémente, le cœur tendre, Paris offre une sidérante palette de saveurs. Il n'est pas rare de voir des rues entières offertes à l'appétit, des boulangeries rivaliser à quelques mètres l'une de l'autre sur le croustillant de leur croissant. On a même l'impression que Paris a les yeux plus gros le ventre. C'est sans doute l'un des derniers endroits au monde où l'on parle de nourritures tout en mangeant.
Le seul problème irrésistible de Paris, c'est sa tradition. Elle freine toute modernité car il est difficile de s'embarquer sur une mousseline de yuzu alors qu'un navarin de veau s'offre la ligne d'en dessous. Les bistrots raflent du coup la mise, tirent les larmes et instaurent une république lente et savoureuse.
Du coup, de partout dans le monde, les talents éclosent, nous doublent en klaxonnant de bonheur, car, bien souvent, nous nous connaissons. À Copenhague, à Tokyo, Sao Paolo, Séoul, Singapour, Londres, Osaka (on peut continuer ainsi pendant une heure), les chefs sont passés en France apprendre le solfège et maintenant triomphent dans leur pays. Des capitales mondiales de la gastronomie, il y en a maintenant à la pelle, l'Europe en regorge (Florence, Lyon, Paris, Londres, Copenhague, San Sebastian). En fait, les expressions sont devenues multiples, les dialectes éblouissants, les langages totalement rénovés. Paris rayonne dans sa solitude. Elle fait penser à ces belles vieilles femmes neurasthéniques qui soliloquent seules dans la rue. C'est bien pour cela que nous la chérissons tant. Mais elle ne souhaite pas que cela se sache. Elle s'inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco comme si elle entrait dans les ordres.
Il en va ainsi de la nature gastronomique comme de l'état du monde. «C'est un paradoxe, écrit l'historien Paul Cohen. Les Occidentaux qui ont plus que quiconque contribué à créer le monde moderne sont les moins à même de le comprendre.
Le match des capitales...
Il semble que cette course au titre mondial de capitale gastronomique soit devenue une sorte de défi marketing des guides et publications. Le Michelin , spécialiste du genre, a bien tenté d'installer Tokyo comme capitale mondiale, mais il s'agit plus d'un «michelincentrisme» qu'autre chose puisque, avec la nouvelle édition du guide (étendue à Kamakura), la capitale japonaise affiche 17 trois-étoiles (contre 10 à Paris). Il ne faut toutefois pas oublier que Tokyo compte plus de 160 000 restaurants (contre 13 000 à Paris).
Il n'en reste pas moins que Tokyo constitue l'une des plus formidables destinations au monde dans le genre, tant les épiceries des grands magasins, l'extraordinaire qualité des tables étrangères (françaises, italiennes…) et locales la propulsent au sommet. Cela dit, la communauté des voyageurs de TripAdvisor à travers le monde a classé récemment Florence comme capitale européenne de la gastronomie, et ce devant Paris. Suivent Rome, Londres, Sorrente, Sienne, Bologne, San Sebastian, Barcelone…
Ne pas oublier non plus New York, la baie de San Francisco, Singapour, Londres et ses 6 000 restaurants, 3 000 cafés et 5 000 pubs. Copenhague revient souvent dans le lot, mais franchement, à part une pincée de tables (dont l'excellent Noma), la scène gastronomique reste modeste. On le voit, cette rivalité est paisible, puisqu'en fait, entre les villes, se tisse un véritable maillage réciproque: les chefs des différents pays puisent partout, circulent, échangent…
Les fléaux de la gastronomie parisienne
Bien sûr, on est les meilleurs au monde. On devrait du reste nous créer une planète spéciale. Cela dit, pour monter encore plus haut dans le ciel, il reste quelques marches…
Le suivisme. Paris passe son temps à se copier elle-même. Véritable planète de clones, elle photocopie les cartes des uns et des autres. On va même jusqu'à reprendre les bandes-son, les serveuses et les caractères d'imprimerie. Ouh!
Le menu dégustation. Bien sûr, cela arrange le chef et son comptable. Mais les gouttes d'eau qui vous tombent sur le crâne toutes les 20 minutes, non merci. Ajoutez à cela l'absence totale de liberté, hormis le droit de choisir entre eau gazeuse ou eau plate, carte American Express ou Carte Bleue. On n'est pas à l'armée!
L'hygiène. Il y a du progrès du côté des dessous de bras, mais c'est lent. Idem pour les cuisines et les toilettes, Paris reste au niveau du trottoir.
Les restaurants étrangers. Notre suffisance franco-cocorico nous conforte dans l'idée que les restaurants étrangers sont forcément distrayants, moins bons et folkloriques. Du coup, le niveau n'est guère fameux. À New York, comme un peu partout dans le monde, les tables étrangères rivalisent avec les locales, c'est un vrai feu d'artifice. À Paris, l'ordre règne, les Französisch en devant, über alles ; les autres, derrière!
Les prix meuh-meuh. 12 euros le verre de Ladoucette au Flore, 50 euros un plat de viande chez Ralph's, 23 euros un cœur de laitue au parmesan aux Orchidées, 35 euros un club sandwich au Bristol… Partout les prix font coin-coin avec le pompon aux verres de vin, facturés bientôt au prix de la bouteille départ cave.
Les décors à la ramasse. Alors que les grandes capitales rivalisent d'ingéniosité, Paris reste incroyablement timorée question décor. Souvent, on joue la carte sécurité, sans grands risques, très peu d'audace et de ton, à part quelques exceptions: le Dauphin, Les Tablettes de Nomicos…
L'accueil. Là aussi, des progrès, mais pour le reste, quelle morgue, quelle suffisance notamment lorsqu'un restaurant est complet. C'est tout juste si l'on ne vous raccroche pas au nez!
La sommellerie sait tout. Et nous, rien du tout. Les sommeliers, à part quelques doux rêveurs, sont les nouveaux prélats de ce siècle. Onctueux et suffisants, ils ont réussi à nous faire obliquer sur les vins tout simples, tout bêtes. Là au moins, on a la paix. Leur grand tic du moment: «Là, nous sommes sur…». Sur la pente douce.
Les 10 restaurants parisiens que le monde nous envie....
À l'instar du Chateaubriand d'Inaki Aizpitarte, dix tables parisiennes qui font des jaloux de par le monde.
1. Pierre GagnaireLe seul chef à être dans le doute permanent, à être effrayé par son ombre, son talent et ses audaces. Pierre Gagnaire possède en même temps cette rage sereine des musiciens de jazz, s'embarquant dans des plats sans jamais savoir où il va atterrir. Alors que d'autres se planquent derrière la sole au beurre d'agrumes, lui virevolte, part à droite, à gauche, se décentre, se déchausse. Ses plats, parfois, ressemblent à une page de Deleuze, mais il faut y voir une volonté constante de s'échapper par le haut, de ne jamais se retourner et de piaffer avec ses poudres, ses associations et cette ferveur galvanisante. Le grand art.
Pierre Gagnaire, 6, rue Balzac, VIIIe. Tél.: 01 58 36 12 50.
2. L'AstranceVoici l'adresse qui scotche par excellence. Sans doute pour sa calme modernité, son respect de l'espace (on pourrait recevoir tous les soirs 50 personnes, on n'en retient que 25) et sûrement ce calme déroulé non seulement dans l'assiette (Pascal Barbot) mais aussi en salle, où officie avec une sérénité savoureuse un directeur hors du commun, Christophe Rohat, épaulé par un sommelier hors pair, Alexandre Jean. Tout cela fait une adresse unique, non encore dupliquée (ouf!). Si l'on réserve de partout dans le monde, longtemps à l'avance, c'est sans doute pour ce toucher unique, cette ligne claire de la gastronomie (école Passard, nous y revoilà) et surtout un humanisme à l'encontre de l'accélération environnante et de la tyrannie du marketing.
L'Astrance, 4, rue Beethoven, XVIe. Tél.: 01 40 50 84 40.
3. Alain Passard L'ArpègeL'Arpège
S'il est vrai que les prix ne sont pas donnés, voire violents sauf pour la nomenklatura gastronomique bénéficiant du menu copain (financé par les péquenauds et les touristes, faut-il le rappeler), Alain Passard reste l'un des plus singuliers chefs parisiens à cuisiner encore chez lui. C'est assez rare pour le souligner, la plupart passant leur vie entre les lounges classe affaires et les duty free shops. Il eut également le courage de refuser la viande lorsque celle-ci devenait folle, pour se rabattre, presque à poil, sur les légumes. Il en a fait du reste l'étendard de sa maison, les cultive lui-même et pousse le radis suffisamment loin pour que derrière, il n'y ait pas grand monde. Cuisine spontanée, inspirée pour une salle hélas instable et parfois chaotique. Pas de problème, pour les fidèles et les illuminés: Passard reste un as.
Alain Passard-L'Arpège, 84, rue de Varenne, VIIe. Tél.: 01 47 05 09 06.
4. La Tour d'ArgentCelle-ci est impayable avec ses bonnes manières, sa situation inouïe, son phrasé ampoulé. C'est Paris en noir et blanc, Paris en Technicolor lorsque la capitale se déroule à vos pieds. Goûtez bien ce moment unique au monde: celui de votre arrivée. Le personnel se tourne alors vers vous, fait la corolle (pas de tutus, rassurez-vous) alors que, timidement, vous rejoignez votre table. Ensuite carte classique en nets progrès depuis les rétrogradations blessantes (mais justifiées) du guide Michelin. Clientèle épatante habillée sur son 31, à part quelques étourdis rhabillés de près dès l'entrée (veste et cravate). Caves magnifiques laissant sommeiller (voire trépasser) les plus beaux flacons de la terre.
La Tour d'Argent, 15, quai de la Tournelle, Ve. Tél.: 01 43 54 23 31.
5. Le ChateaubriandPeut-on reprocher à Inaki Aizpitarte et à Fred Peneau d'avoir connu une gloire trop violente?! Bien sûr que non. Mais disons que cela ne les a pas autant aidés que cela. Tous deux appartiennent à cette génération de restaurateurs qui ont su piger le sens du siècle et surtout assumer l'amorce d'un vrai talent. Une sorte de cuisine spontanée, impérieuse, impétueuse, cognant sur les parois, passant parfois à vide, mais travaillant au harcèlement. Guère au doute mais dans un combat incessant. Très vite, ils sont devenus la coqueluche du nouveau monde de la gastronomie. Tout simplement parce qu'ils savaient marier la dimension sexy que l'on attend d'une adresse et l'amorce d'une cuisine novatrice, extrêmement dépouillée, parfois déconcertante. Et cela a marché. L'intelligentsia modeuse a suivi, les propulsant par un habile lobbying au summum de la gastronomie mondiale, sans pour autant désosser cette adresse qui aurait pu périr sous une telle accélération. Aujourd'hui, le restaurant s'est dédoublé avec un petit frère drôlement finaud et encore plus agile, le Dauphin, dessiné par Fred et son ami Rem Koolhass. Voilà pourquoi ce duo d'adresses n'a pas fini de faire parler de lui.
Le Chateaubriand, 129, av. Parmentier,XIe. Tél.:01 43 57 45 95.
6. Le Jules VerneLe Jules Verne Crédits photo : Paul DELORT/Le Figaro
C'est vrai, depuis qu'Alain Ducasse et ses calculateurs et calculatrices ont repris les rênes de cette table, ça ne rigole plus dans l'assiette. Parfaitement grammée et plus ou moins bien cuisinée, celle-ci maintenant, c'est clair, entre dans les plans d'amortissement du bail délivré par la Mairie de Paris. Cela dit, le Jules Verne reste le restaurant le plus couru de la capitale. Et sans doute du monde, tant la situation est stupéfiante. Paris est à vos pieds (l'idéal, c'est le versant Trocadéro) et l'on ne regrette qu'une chose: ne pas voir la tour Eiffel. Ceci dit, la montée par l'ascenseur reste un grand moment. On peut même redescendre à pied, ce qui constitue une des plus belles joies de Paris. Pour le reste, dîner inoubliable surtout les beaux jours venus, assiette on l'a dit prévisible et réservation tenant de la sainteté.
Le Jules Verne, Tour Eiffel, IIe étage, Champ-de-Mars, VIIe. Tél.: 01 45 55 61 44.
7. Le BaratinCertes, le patron (Philippe Pinoteau) n'est pas un tendre et il a ses têtes. Comme s'il devançait une clientèle parfois trop envahissante, exigeante. Car les médias n'ont de cesse de rabâcher cette adresse, de scander les louanges d'une cuisinière brillante et simple: Raquel Carena. La bonté et la rareté du lieu trouvent leur écho dans un quartier au naturel, une rue à la Doisneau et un éclairage propre à effrayer les limousines. On vient en tout cas du monde entier s'encanailler dans ce bistrot gastronomique, s'enivrer de vins naturels et se masser aux conversations enjouées. C'est l'une des dernières adresses tonitruantes, hautement vivantes. Il faut donc y arriver en pleine forme pour goûter le haut volume d'une cuisine ouverte et directe.
Le Baratin, 3, rue Jouye-Rouve, XXe. Tél.: 01 43 49 39 70.
8. L'Ami LouisC'est amusant, cette adresse a le don d'insupporter la terre entière. Pourtant, celle-ci s'y réunit. Dans ses élites, semble-t-il. Qu'est-ce qui peut bien énerver de la sorte?! Sans doute une sorte de facilité insolente (la même que l'on reproche aux Costes), une réussite indéniable et ce autour de recettes bêtes comme tout: le foie gras (hautement banal) et le poulet rôti avec ses pommes allumettes. Quoi qu'on en dise, ce dernier reste l'un des meilleurs de Paris. Il est rôti à la minute, provient des meilleurs élevages et est servi entier. Allez vous aligner là-dessus, pendant que la concurrence réchauffe, chipote, marge (à l'exception de D'Chez Eux, même fournisseur, ce qui n'est pas par hasard). La réussite de l'Ami Louis, c'est un casting sidérant, un mélange sexy où tous âges, toutes races et toutes beautés se mêlent dans une ambiance bon enfant. Et ça, croyez-moi, dieu que c'est agaçant. Surtout lorsqu'on n'a pas sa table.
L'Ami Louis, 32, rue du Vertbois, IIIe. Tél.: 01 48 87 77 48.
9. Le FloreLe Flore Crédits photo : Jean-Jacques CECCARINI/Le Figaro
C'est sans doute ce que nous réserve de mieux la rive gauche. Une exposition identique à celle du Bonaparte et des Deux Magots (pour mémoire, Sénéquier à Saint-Tropez est plié de la même façon) avec soleil pour le petit déjeuner et coucher pour l'apéro. Coincé entre deux librairies, épaulé par un club de nuit (Le Montana), le Flore n'a plus qu'à croiser les jambes, qu'il a souvent fort jolies. Si le premier étage est le repaire des faux planqués, la terrasse a ses amateurs pour sans doute un défilé unique au monde: les Parisiens et les Parisiennes et leur désinvolture, leur faux-semblant et leur émoi. À qui sait picorer sereinement, il y a là une pâture hautement civilisée. Le vin blanc est servi froid (parfait), le croissant a du mou dans la corne mais les salades sont spirituelles (le club sandwich sans pain de mie) et les pâtisseries se sont améliorées. Restent les rires et les conversations: inégalables.
Le Flore, 172, bd Saint-Germain, VIe. Tél.: 01 45 48 55 26.
10. Le Petit VendômeQuoi qu'on en dise, le sandwich reste l'une des armoiries de la gastronomie parisienne. Mais hélas, il est de plus en difficile d'en trouver d'épatants, de dignes. Balt (15, rue Monsigny, IIe) certes et ici et là des tentatives honnêtes mais l'un de nos préférés reste celui du Petit Vendôme, à deux pas de la colonne. La baguette a une classe pas possible (fournisseur: Julien) et les produits jouent le terroir: jambons, rillettes, pâtés, bleus d'Auvergne. La force et la dimension unique du Petit Vendôme, c'est aussi une ambiance très parigote avec les cadres et les employés du coin jouant la gouaille et l'aplomb dans une poétique délicieuse, où les commandes passent comme des mots magiques: «le bleu du jour». Rare.
Finalement, à lire nos amis du monde entier, Paris reste la capitale sentimentale de la gastronomie. Partout, les chefs comme les critiques ont souvent connu ici leurs premiers émois. Et, à qui a l'âme clémente, le cœur tendre, Paris offre une sidérante palette de saveurs. Il n'est pas rare de voir des rues entières offertes à l'appétit, des boulangeries rivaliser à quelques mètres l'une de l'autre sur le croustillant de leur croissant. On a même l'impression que Paris a les yeux plus gros le ventre. C'est sans doute l'un des derniers endroits au monde où l'on parle de nourritures tout en mangeant.
Le seul problème irrésistible de Paris, c'est sa tradition. Elle freine toute modernité car il est difficile de s'embarquer sur une mousseline de yuzu alors qu'un navarin de veau s'offre la ligne d'en dessous. Les bistrots raflent du coup la mise, tirent les larmes et instaurent une république lente et savoureuse.
Du coup, de partout dans le monde, les talents éclosent, nous doublent en klaxonnant de bonheur, car, bien souvent, nous nous connaissons. À Copenhague, à Tokyo, Sao Paolo, Séoul, Singapour, Londres, Osaka (on peut continuer ainsi pendant une heure), les chefs sont passés en France apprendre le solfège et maintenant triomphent dans leur pays. Des capitales mondiales de la gastronomie, il y en a maintenant à la pelle, l'Europe en regorge (Florence, Lyon, Paris, Londres, Copenhague, San Sebastian). En fait, les expressions sont devenues multiples, les dialectes éblouissants, les langages totalement rénovés. Paris rayonne dans sa solitude. Elle fait penser à ces belles vieilles femmes neurasthéniques qui soliloquent seules dans la rue. C'est bien pour cela que nous la chérissons tant. Mais elle ne souhaite pas que cela se sache. Elle s'inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco comme si elle entrait dans les ordres.
Il en va ainsi de la nature gastronomique comme de l'état du monde. «C'est un paradoxe, écrit l'historien Paul Cohen. Les Occidentaux qui ont plus que quiconque contribué à créer le monde moderne sont les moins à même de le comprendre.
Le match des capitales...
Il semble que cette course au titre mondial de capitale gastronomique soit devenue une sorte de défi marketing des guides et publications. Le Michelin , spécialiste du genre, a bien tenté d'installer Tokyo comme capitale mondiale, mais il s'agit plus d'un «michelincentrisme» qu'autre chose puisque, avec la nouvelle édition du guide (étendue à Kamakura), la capitale japonaise affiche 17 trois-étoiles (contre 10 à Paris). Il ne faut toutefois pas oublier que Tokyo compte plus de 160 000 restaurants (contre 13 000 à Paris).
Il n'en reste pas moins que Tokyo constitue l'une des plus formidables destinations au monde dans le genre, tant les épiceries des grands magasins, l'extraordinaire qualité des tables étrangères (françaises, italiennes…) et locales la propulsent au sommet. Cela dit, la communauté des voyageurs de TripAdvisor à travers le monde a classé récemment Florence comme capitale européenne de la gastronomie, et ce devant Paris. Suivent Rome, Londres, Sorrente, Sienne, Bologne, San Sebastian, Barcelone…
Ne pas oublier non plus New York, la baie de San Francisco, Singapour, Londres et ses 6 000 restaurants, 3 000 cafés et 5 000 pubs. Copenhague revient souvent dans le lot, mais franchement, à part une pincée de tables (dont l'excellent Noma), la scène gastronomique reste modeste. On le voit, cette rivalité est paisible, puisqu'en fait, entre les villes, se tisse un véritable maillage réciproque: les chefs des différents pays puisent partout, circulent, échangent…
Les fléaux de la gastronomie parisienne
Bien sûr, on est les meilleurs au monde. On devrait du reste nous créer une planète spéciale. Cela dit, pour monter encore plus haut dans le ciel, il reste quelques marches…
Le suivisme. Paris passe son temps à se copier elle-même. Véritable planète de clones, elle photocopie les cartes des uns et des autres. On va même jusqu'à reprendre les bandes-son, les serveuses et les caractères d'imprimerie. Ouh!
Le menu dégustation. Bien sûr, cela arrange le chef et son comptable. Mais les gouttes d'eau qui vous tombent sur le crâne toutes les 20 minutes, non merci. Ajoutez à cela l'absence totale de liberté, hormis le droit de choisir entre eau gazeuse ou eau plate, carte American Express ou Carte Bleue. On n'est pas à l'armée!
L'hygiène. Il y a du progrès du côté des dessous de bras, mais c'est lent. Idem pour les cuisines et les toilettes, Paris reste au niveau du trottoir.
Les restaurants étrangers. Notre suffisance franco-cocorico nous conforte dans l'idée que les restaurants étrangers sont forcément distrayants, moins bons et folkloriques. Du coup, le niveau n'est guère fameux. À New York, comme un peu partout dans le monde, les tables étrangères rivalisent avec les locales, c'est un vrai feu d'artifice. À Paris, l'ordre règne, les Französisch en devant, über alles ; les autres, derrière!
Les prix meuh-meuh. 12 euros le verre de Ladoucette au Flore, 50 euros un plat de viande chez Ralph's, 23 euros un cœur de laitue au parmesan aux Orchidées, 35 euros un club sandwich au Bristol… Partout les prix font coin-coin avec le pompon aux verres de vin, facturés bientôt au prix de la bouteille départ cave.
Les décors à la ramasse. Alors que les grandes capitales rivalisent d'ingéniosité, Paris reste incroyablement timorée question décor. Souvent, on joue la carte sécurité, sans grands risques, très peu d'audace et de ton, à part quelques exceptions: le Dauphin, Les Tablettes de Nomicos…
L'accueil. Là aussi, des progrès, mais pour le reste, quelle morgue, quelle suffisance notamment lorsqu'un restaurant est complet. C'est tout juste si l'on ne vous raccroche pas au nez!
La sommellerie sait tout. Et nous, rien du tout. Les sommeliers, à part quelques doux rêveurs, sont les nouveaux prélats de ce siècle. Onctueux et suffisants, ils ont réussi à nous faire obliquer sur les vins tout simples, tout bêtes. Là au moins, on a la paix. Leur grand tic du moment: «Là, nous sommes sur…». Sur la pente douce.
Les 10 restaurants parisiens que le monde nous envie....
À l'instar du Chateaubriand d'Inaki Aizpitarte, dix tables parisiennes qui font des jaloux de par le monde.
1. Pierre GagnaireLe seul chef à être dans le doute permanent, à être effrayé par son ombre, son talent et ses audaces. Pierre Gagnaire possède en même temps cette rage sereine des musiciens de jazz, s'embarquant dans des plats sans jamais savoir où il va atterrir. Alors que d'autres se planquent derrière la sole au beurre d'agrumes, lui virevolte, part à droite, à gauche, se décentre, se déchausse. Ses plats, parfois, ressemblent à une page de Deleuze, mais il faut y voir une volonté constante de s'échapper par le haut, de ne jamais se retourner et de piaffer avec ses poudres, ses associations et cette ferveur galvanisante. Le grand art.
Pierre Gagnaire, 6, rue Balzac, VIIIe. Tél.: 01 58 36 12 50.
2. L'AstranceVoici l'adresse qui scotche par excellence. Sans doute pour sa calme modernité, son respect de l'espace (on pourrait recevoir tous les soirs 50 personnes, on n'en retient que 25) et sûrement ce calme déroulé non seulement dans l'assiette (Pascal Barbot) mais aussi en salle, où officie avec une sérénité savoureuse un directeur hors du commun, Christophe Rohat, épaulé par un sommelier hors pair, Alexandre Jean. Tout cela fait une adresse unique, non encore dupliquée (ouf!). Si l'on réserve de partout dans le monde, longtemps à l'avance, c'est sans doute pour ce toucher unique, cette ligne claire de la gastronomie (école Passard, nous y revoilà) et surtout un humanisme à l'encontre de l'accélération environnante et de la tyrannie du marketing.
L'Astrance, 4, rue Beethoven, XVIe. Tél.: 01 40 50 84 40.
3. Alain Passard L'ArpègeL'Arpège
S'il est vrai que les prix ne sont pas donnés, voire violents sauf pour la nomenklatura gastronomique bénéficiant du menu copain (financé par les péquenauds et les touristes, faut-il le rappeler), Alain Passard reste l'un des plus singuliers chefs parisiens à cuisiner encore chez lui. C'est assez rare pour le souligner, la plupart passant leur vie entre les lounges classe affaires et les duty free shops. Il eut également le courage de refuser la viande lorsque celle-ci devenait folle, pour se rabattre, presque à poil, sur les légumes. Il en a fait du reste l'étendard de sa maison, les cultive lui-même et pousse le radis suffisamment loin pour que derrière, il n'y ait pas grand monde. Cuisine spontanée, inspirée pour une salle hélas instable et parfois chaotique. Pas de problème, pour les fidèles et les illuminés: Passard reste un as.
Alain Passard-L'Arpège, 84, rue de Varenne, VIIe. Tél.: 01 47 05 09 06.
4. La Tour d'ArgentCelle-ci est impayable avec ses bonnes manières, sa situation inouïe, son phrasé ampoulé. C'est Paris en noir et blanc, Paris en Technicolor lorsque la capitale se déroule à vos pieds. Goûtez bien ce moment unique au monde: celui de votre arrivée. Le personnel se tourne alors vers vous, fait la corolle (pas de tutus, rassurez-vous) alors que, timidement, vous rejoignez votre table. Ensuite carte classique en nets progrès depuis les rétrogradations blessantes (mais justifiées) du guide Michelin. Clientèle épatante habillée sur son 31, à part quelques étourdis rhabillés de près dès l'entrée (veste et cravate). Caves magnifiques laissant sommeiller (voire trépasser) les plus beaux flacons de la terre.
La Tour d'Argent, 15, quai de la Tournelle, Ve. Tél.: 01 43 54 23 31.
5. Le ChateaubriandPeut-on reprocher à Inaki Aizpitarte et à Fred Peneau d'avoir connu une gloire trop violente?! Bien sûr que non. Mais disons que cela ne les a pas autant aidés que cela. Tous deux appartiennent à cette génération de restaurateurs qui ont su piger le sens du siècle et surtout assumer l'amorce d'un vrai talent. Une sorte de cuisine spontanée, impérieuse, impétueuse, cognant sur les parois, passant parfois à vide, mais travaillant au harcèlement. Guère au doute mais dans un combat incessant. Très vite, ils sont devenus la coqueluche du nouveau monde de la gastronomie. Tout simplement parce qu'ils savaient marier la dimension sexy que l'on attend d'une adresse et l'amorce d'une cuisine novatrice, extrêmement dépouillée, parfois déconcertante. Et cela a marché. L'intelligentsia modeuse a suivi, les propulsant par un habile lobbying au summum de la gastronomie mondiale, sans pour autant désosser cette adresse qui aurait pu périr sous une telle accélération. Aujourd'hui, le restaurant s'est dédoublé avec un petit frère drôlement finaud et encore plus agile, le Dauphin, dessiné par Fred et son ami Rem Koolhass. Voilà pourquoi ce duo d'adresses n'a pas fini de faire parler de lui.
Le Chateaubriand, 129, av. Parmentier,XIe. Tél.:01 43 57 45 95.
6. Le Jules VerneLe Jules Verne Crédits photo : Paul DELORT/Le Figaro
C'est vrai, depuis qu'Alain Ducasse et ses calculateurs et calculatrices ont repris les rênes de cette table, ça ne rigole plus dans l'assiette. Parfaitement grammée et plus ou moins bien cuisinée, celle-ci maintenant, c'est clair, entre dans les plans d'amortissement du bail délivré par la Mairie de Paris. Cela dit, le Jules Verne reste le restaurant le plus couru de la capitale. Et sans doute du monde, tant la situation est stupéfiante. Paris est à vos pieds (l'idéal, c'est le versant Trocadéro) et l'on ne regrette qu'une chose: ne pas voir la tour Eiffel. Ceci dit, la montée par l'ascenseur reste un grand moment. On peut même redescendre à pied, ce qui constitue une des plus belles joies de Paris. Pour le reste, dîner inoubliable surtout les beaux jours venus, assiette on l'a dit prévisible et réservation tenant de la sainteté.
Le Jules Verne, Tour Eiffel, IIe étage, Champ-de-Mars, VIIe. Tél.: 01 45 55 61 44.
7. Le BaratinCertes, le patron (Philippe Pinoteau) n'est pas un tendre et il a ses têtes. Comme s'il devançait une clientèle parfois trop envahissante, exigeante. Car les médias n'ont de cesse de rabâcher cette adresse, de scander les louanges d'une cuisinière brillante et simple: Raquel Carena. La bonté et la rareté du lieu trouvent leur écho dans un quartier au naturel, une rue à la Doisneau et un éclairage propre à effrayer les limousines. On vient en tout cas du monde entier s'encanailler dans ce bistrot gastronomique, s'enivrer de vins naturels et se masser aux conversations enjouées. C'est l'une des dernières adresses tonitruantes, hautement vivantes. Il faut donc y arriver en pleine forme pour goûter le haut volume d'une cuisine ouverte et directe.
Le Baratin, 3, rue Jouye-Rouve, XXe. Tél.: 01 43 49 39 70.
8. L'Ami LouisC'est amusant, cette adresse a le don d'insupporter la terre entière. Pourtant, celle-ci s'y réunit. Dans ses élites, semble-t-il. Qu'est-ce qui peut bien énerver de la sorte?! Sans doute une sorte de facilité insolente (la même que l'on reproche aux Costes), une réussite indéniable et ce autour de recettes bêtes comme tout: le foie gras (hautement banal) et le poulet rôti avec ses pommes allumettes. Quoi qu'on en dise, ce dernier reste l'un des meilleurs de Paris. Il est rôti à la minute, provient des meilleurs élevages et est servi entier. Allez vous aligner là-dessus, pendant que la concurrence réchauffe, chipote, marge (à l'exception de D'Chez Eux, même fournisseur, ce qui n'est pas par hasard). La réussite de l'Ami Louis, c'est un casting sidérant, un mélange sexy où tous âges, toutes races et toutes beautés se mêlent dans une ambiance bon enfant. Et ça, croyez-moi, dieu que c'est agaçant. Surtout lorsqu'on n'a pas sa table.
L'Ami Louis, 32, rue du Vertbois, IIIe. Tél.: 01 48 87 77 48.
9. Le FloreLe Flore Crédits photo : Jean-Jacques CECCARINI/Le Figaro
C'est sans doute ce que nous réserve de mieux la rive gauche. Une exposition identique à celle du Bonaparte et des Deux Magots (pour mémoire, Sénéquier à Saint-Tropez est plié de la même façon) avec soleil pour le petit déjeuner et coucher pour l'apéro. Coincé entre deux librairies, épaulé par un club de nuit (Le Montana), le Flore n'a plus qu'à croiser les jambes, qu'il a souvent fort jolies. Si le premier étage est le repaire des faux planqués, la terrasse a ses amateurs pour sans doute un défilé unique au monde: les Parisiens et les Parisiennes et leur désinvolture, leur faux-semblant et leur émoi. À qui sait picorer sereinement, il y a là une pâture hautement civilisée. Le vin blanc est servi froid (parfait), le croissant a du mou dans la corne mais les salades sont spirituelles (le club sandwich sans pain de mie) et les pâtisseries se sont améliorées. Restent les rires et les conversations: inégalables.
Le Flore, 172, bd Saint-Germain, VIe. Tél.: 01 45 48 55 26.
10. Le Petit VendômeQuoi qu'on en dise, le sandwich reste l'une des armoiries de la gastronomie parisienne. Mais hélas, il est de plus en difficile d'en trouver d'épatants, de dignes. Balt (15, rue Monsigny, IIe) certes et ici et là des tentatives honnêtes mais l'un de nos préférés reste celui du Petit Vendôme, à deux pas de la colonne. La baguette a une classe pas possible (fournisseur: Julien) et les produits jouent le terroir: jambons, rillettes, pâtés, bleus d'Auvergne. La force et la dimension unique du Petit Vendôme, c'est aussi une ambiance très parigote avec les cadres et les employés du coin jouant la gouaille et l'aplomb dans une poétique délicieuse, où les commandes passent comme des mots magiques: «le bleu du jour». Rare.
Le Petit Vendôme, 8, rue des Capucines, IIe. Tél.: 01 42 61 05 88.
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